mardi 8 juillet 2025

Journal ritaphysique (8 juillet 2025)

Je ne suis pas spécialiste de l'intelligence artificielle, je n'ai aucune formation en programmation, mais comme tout un chacun il m'arrive, à l'occasion, d'hamlétiser au bord d'un chemin de terre en Estrie ou sur une terrasse de la rue Saint-Denis, crâne dans une main, bière dans une autre, et de me poser certaines questions de type: l'avons-nous vraiment dans le c** avec l'IA?

Sera-ce bien la chronique d'une apocalypse annoncée que dépeignent de nombreux futurologues?

Encore ce matin, un ami me disait qu'on prévoit, d'ici quelques années, l'arrivée d'une Superintelligence susceptible de parfaire exponentiellement ses prodiges, et cela sans le secours de son primate de service.  

Telle serait la matérialisation cauchemardesque du paradoxe d'un instrument parfaitement autonome et dont on ne sait trop quelle conception cet instrument pourrait se faire de son créateur, ou encore quelles obligations il pourrait se reconnaître (ou pas) face à l'espèce qui a favorisé son développement tous azimuts au risque de scier la branche sur laquelle elle est assise.

Bref, quoi de l'IA et de son proche avenir?  Et à quels critères éthiques (s'il y en a) cette intelligence pourrait-elle s'appuyer pour fonder ses décisions?

(Comme disait Cioran avant le premier café: Nous sommes tous des farceurs, nous survivons à nos problèmes.  Ou comme disait le même Cioran, mais cette fois après le premier café: Pas la peine de se suicider, on se tue toujours trop tard de toute façon.)

*

Procédons par élimination.

À première vue, il semble hautement improbable que l'intelligence artificielle puisse se référer à une éthique d'inspiration kantienne, fondée notamment sur le principe du respect de la personne.  Car si l'IA, comme toute mécanique sophistiquée, est conçue pour opérer à froid, pour procéder à sec et donc pour instrumentaliser sans scrupules tout ce qu'elle juge le plus adapté à l'atteinte de ses objectifs, on voit mal en quoi la teneur métaphysique du concept de personne pourrait représenter un frein moral à ses opérations.  Une singularité essentiellement définie par la simple conscience de soi ne peut pas reconnaître une singularité concurrente qui se définirait plutôt par le substrat invisible, métaphysiquement non quantifiable, du fait humain.  Compte tenu de sa charge éminemment qualitative, le concept de personne serait invalidé d'office; son indice de productivité étant jugé égal à zéro, il prendrait ipso facto le chemin de la corbeille.    

On ne peut pas programmer une langue profane à traduire en d'autres termes que les siens la langue du sacré.

En revanche, une éthique de type conséquentialiste, axée sur le calcul de ce qui est susceptible de favoriser le bonheur du plus grand nombre (ou de réduire au minimum ses souffrances) semble (à première vue du moins) davantage adaptée à l'univers de la computation généralisée.  Ici, c'est un peu la version quantitative du stade du miroir, je veux dire: la productivité de l'IA se reconnaîtrait sans doute dans les quantas du calcul conséquentialiste, du moins, elle s'y reconnaîtrait tant et aussi longtemps que ce calcul n'est pas parasité par des critères secondaires (pureté, fécondité, intensité, etc.) susceptibles de dévier l'application du critère de quantité aux ensembles jugés problématiques.

Mais comme disait le vieux Husserl en se pitchant sur le sandwich tout écrapou que sa femme s'efforçait de glisser sous la porte doublement verrouillée de son bureau: Gott im Himmel, ein Apflebagel mit Pinottebutter!

Certes, sauf que...

Sauf que le collectif (le plus grand nombre) ne vaut que par les unités sensibles qui le constituent.  En d'autres termes, le plus grand nombre ne voudrait rien dire et n'aurait aucune valeur éthique s'il était constitué de popsicles ou de barreaux de chaises.  Ce qui élève le collectif à sa dignité morale (pour ainsi dire), c'est le fait qu'il est investi par des êtres sensibles, susceptibles de jouir et de souffrir. 

Mais pour quelles raisons une intelligence artificielle, immunisée par définition aux sensations de plaisir et de peine, ferait-elle de la sensibilité un critère éthique absolu?

Pourquoi l'IA ne privilégierait-elle pas au contraire une éthique hégélienne ou nietzschéenne justifiant le massacre immédiat ou différé de vastes collectivités au profit de l'Esprit du monde (le grand Deejay techno qui fait simultanément tourner des millions de tables dans des millions de discos) ou au profit du Surhomme (disons la Surmachine dont la devise serait: Deviens ce que tu programmes).

En fait -- mais sans que je puisse pour l'instant le prouver le moins du monde --, la seule éthique (s'il s'agit encore d'une éthique) susceptible de s'accorder parfaitement au profil technologique de l'IA et de son développement autocentré, c'est l'éthique sadienne.

Car l'éthique sadienne est d'une simplicité aussi enfantine que diabolique.  On pourrait la résumer comme suit: Dans le meilleur des cas, considère autrui comme un instrument qu'il t'est loisible de manipuler à ton profit et en vue de ton plaisir; dans le pire des cas, considère-le plutôt comme un obstacle que tu te dois d'éliminer sans aucune hésitation.

Orwell disait: Si vous voulez une image du futur, imaginez une botte écrasant un visage humain...  pour l'éternité.

Toutes choses atroces par ailleurs, si vous voulez une image du futur de l'IA, lisez Les 120 journées de Sodome et Gomorrhe.

Mais est-ce bien sûr?

Un sadien peut encore se masturber en déroulant la bobine de ses sales petites histoires, il peut encore prendre son pied en couchant par écrit ou en projetant sur écran géant les horreurs qui torréfient sa cervelle malade.

Mais que serait l'équivalent de la masturbation pour une machine?  Comment, de quelle manière encoder la jouissance abstraction faite de toute incarnation dans une âme et dans un corps?  Comment, de quelle manière, au vu de quels résultats l'intelligence artificielle pourrait-elle se rouler la bille et/ou s'astiquer le manche, puis conclure sa journée de travail en déficelant ses gigabyts octet par octet tout en vagissant: Rhhhaaa lovely!! (??)




     

  

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