dimanche 26 janvier 2025

Journal ritaphysique (26 janvier 2025)

(...) Si je formule le problème en termes simples, il s'agit de savoir comment tenir un journal qui ne se réduise pas à une fiction, je veux dire: comment tenir un journal dans lequel la fiction n'emporte pas tout, jusques et y compris le désir d'en sortir?

En termes plus cliniques: comment écrire de sorte que l'extrême conscience de soi induite par l'exercice ne se réduise pas à l'effet résiduel d'un extrême oubli de soi?  (Je formule la question comme si cette situation n'était pas souhaitable, mais au fond, pourquoi pas?)

En termes érotiques: comment traduire l'enchaînement des orgasmes dans la langue d'un fonctionnaire soviétique qui suspend provisoirement son exercice typographique pour regarder la neige tomber de l'autre côté de la fenêtre?

En termes pornographiques (par ici les tours d'éclairage): comment Peeping Pat devrait-il se comporter s'il surgissait à l'improviste sur le plateau de tournage de L'Année dernière à Marienbad?

Je complique les affaires.  Il ne devrait y avoir aucun problème à dire quelque chose comme: J'ai démarré le lave-vaisselle à 4 heures 37 du matin.  Or, il y a en un.  Cet énoncé, cette phrase, cette proposition est une catastrophe esthétique.  Elle appartient à une fiction qui ne dit pas son nom.

Oui, je crois que je viens de mettre le doigt dessus: toute phrase inscrite dans un journal est une phrase volée/arrachée/confisquée à une fiction clandestine, une fiction dont le lieu, le cadre et le propos ne sont pas assignables.  C'est une affirmation en exil, un énoncé déporté d'un lieu à un autre, et qui masque son transport.  C'est une métaphore de contrebande.

Je ne sais pas où se situe la fiction de départ.  Je ne connais pas son titre.  Je ne sais pas s'il s'agit d'un roman, d'un récit ou d'une nouvelle.  Je ne peux même pas présumer que je connais son auteur.  Tout ce que je sais, c'est qu'il s'agit d'une fiction dérobée, dans le sens de comme dans le sens de.

J'ai démarré le lave-vaisselle à 4 heures 37 du matin.

Tous les prêtres pédophiles demandent l'asile politique au Vatican.

Hier soir, au IGA, un type qui insérait ses cannettes dans la machine à recycler s'est mis à engueuler une caissière sous prétexte que la machine ne fonctionnait pas une fois sur deux.  Poliment, j'ai fait remarquer à ce gentilhomme que si je crissais sa tête dans la machine, il verrait tout de suite si elle fonctionne ou pas. 

Oui, toutes ces phrases sont des prélèvements opérés à même une fiction dont le cadre de référence est aussi peu assignable que l'être heideggerrien.

Ok, mais supposons que je tienne un journal intellectuel et non factuel, un peu à l'instar du Journal métaphysique de Gabriel Marcel?  Les énoncés théoriques de ce journal devraient-ils, eux aussi, être considérés comme étant arrachés à une fiction invisible?

Sans aucun doute.  La métaphysique est un cas particulier de la ritaphysique.

Mais qu'est-ce que la ritaphysique, au juste?

Pense, porc! (Beckett)

(...) 







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