mardi 4 février 2025

Journal ritaphysique (4 février 2025)

Comme disait Aristote: Donc...

Les contours du problème se précisent, mais je suis encore loin du compte.  Au fond, je n'ai rien démontré so far, tout demeure à l'état intuitif et la facilité, ici, serait de se cantonner dans une posture postmoderne, de se couler dans le rôle d'un séducteur derridien qui aborde une étudiante dans un café en disant: Vous savez, tout a peut-être déjà été pensé... ou encore de s'en tirer avec une galipette lacanienne de type: Trust me bro...

Je n'ai rien démontré encore, mais sans chercher de sortie facile, je dois tout de même me faire à l'idée que je n'atteindrai jamais de clarté cartésienne en ces matières.  Ce que je voudrais -- à tout le moins -- c'est donner un peu plus de pesanteur à l'intuition que 1) le journal présuppose en amont quelque fiction comme sa condition de possibilité la plus organique, et 2) que Rita magnétise en aval (et oriente érotiquement) la sélection et la transposition des fragments fictionnels.

Si je veux cependant lubrifier la démonstration de ces 2 points, le mieux est de revenir à l'idée que le journal n'est pas causa sui, plus précisément: que n'importe quelle phrase d'un journal, abstraction faite des 2 vortex ci-haut mentionnés, serait l'équivalent d'une folie, je veux dire: ce serait une performance psychotique de très haut niveau.

Prenons 3 exemples extraits du journal de 3 auteurs triés sur le volet: André Gide, Roland Barthes et Soren Kierkegaard.*

Je suis tout empêtré dans mon passé; n'écris plus rien qui vaille. (Gide, 5 juin 1941)

M'effraie absolument le caractère discontinu du deuil (Barthes, 26 novembre 1977)

Si j'avais eu la foi, je n'aurais pas quitté Régine.  Louange à Dieu et merci, je l'ai maintenant compris.  J'ai bien failli perdre la raison ces jours-ci. (Kierkegaard, mai 1843)

Ces énoncés n'accèdent pas seulement à l'intelligibilité du fait de quelque mise en contexte qu'on pourra toujours (plus ou moins aisément) justifier de façon auto ou hétéroréférentielle.  Non.  L'intelligibilité ici est organiquement liée à la mise en fiction de soi comme personnage principal d'une intrigue dont les contours, le plan d'ensemble ne se laissent deviner qu'en négatif et comme par soustraction ritaphysiquement déterminée.  De ce point de vue, le journal est en quelque sorte le repoussoir inavoué et fragmenté d'une fiction invisible.  L'auteur du journal n'est pas un auteur à proprement parler: c'est un personnage appartenant à une fiction = X, mais qui joue à être l'auteur de son propre texte, qui joue à effacer la fiction dont il est issu afin de donner au texte un maximum d'effet de réel (la formule est approximative, à peaufiner, mais c'est bien ça).

Le journal est donc un jeu dont la fiction est la règle initiale, constante et finale.

La stérilité de Gide, le chagrin de Barthes, la confusion de Kierkegaard ne sont intelligibles que parce que Gide, Barthes et Kierkegaard jouent à être eux-mêmes: ils jouent à incarner ce qu'ils ne peuvent jamais être; ils sont des personnages dont le jeu consiste à caviarder la fiction ontologique dont ils sont issus = X = le monde tel qu'en lui-même et dans sa fucking totalité.  (Je me calmerai plus tard.  À démontrer un de ces jours.)

Paradoxalement, rien de plus éloigné de l'univers du journal que l'auteur considéré en tant que moi-moi-moi-je-je-je. 

(Creuser aussi l'idée que si un journal n'est pas nécessairement fait pour être lu, il l'est à tout le moins pour être écrit.  Et pas seulement écrit pour être écrit, point, mais écrit pour être écrit-à... pour correspondre-avec...  D'où la question adjacente: quelle est la réponse ritaphysique la plus susceptible de relancer l'écriture du journal, d'en alimenter la reprise, d'en motiver le développement au fil des jours?)



*Encore une fois, rien d'exemplaire ici.  L'illustration pourrait tout aussi bien s'effectuer à partir des journaux de Paul Claudel, de Marie Uguay ou de Franz Kafka.


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