lundi 17 février 2025

Journal ritaphysique (17 février 2025)

Il y a un impératif esthétique distinct de l'impératif catégorique tout autant que de l'impératif hypothétique.  Il y a un *tu dois* propre à la création qui n'est pas plus réductible au *tu dois parce que tu dois* de l'éthique kantienne qu'au *tu dois si tu veux* propre à la raison instrumentale.

Si je dis que je dois poursuivre la rédaction de ce roman intitulé La Rechute, ce n'est certainement pas parce que ma conscience morale m'y oblige.  Mais ce n'est pas non plus parce que cette création serait finalisée sans reste par le plaisir, l'orgueil ou l'argent.

Il me faut achever l'écriture de ce roman, oui, mais si cette obligation esthétique n'est pas aussi rigide qu'un impératif catégorique, et si elle n'est pas aussi aléatoire qu'un impératif hypothétique, d'où vient son sérieux, sa pesanteur, voire son urgence?

À partir de quel plan peut-elle se justifier?

*

Je notais l'autre jour que la littérature n'a rien à voir avec l'éthique, mais qu'elle relève plutôt du politique.  J'ajouterais: la littérature est l'acte de résistance politique par excellence.  Elle ne relève pas immédiatement de la révolution, de l'émeute ou de l'anarchie.  Et encore moins de la violence idéologique.  Mais elle s'éprouve d'emblée comme résistance à quelque chose, mieux: comme impératif de résistance à quelque chose.  À quoi alors?

Je dirais: à son instrumentalisation éthique.  D'abord et avant tout.  La littérature est par essence et par vocation une mauvaise cause qui résiste de l'intérieur à son asservissement au profit d'une bonne cause.  

Or cette résistance ne doit pas être considérée comme provisoire.

Cette résistance n'est pas un mauvais moment à passer.  C'est la littérature même.

Et le fait littéraire, dans sa pureté infernale, c'est la singularité qui fait/fera éternellement chier le collectif et son enfilade de poncifs culturellement datés/plafonnés.  

Casser cette résistance (ou tenter de le faire), même pour la meilleure des causes, c'est trahir le politique au profit de l'éthique, c'est prostituer l'impératif de résistance au profit de son incarcération idéologique, bref: c'est entretenir ce malentendu total que la littérature (le mal) peut demeurer littérature (le mal) une fois celle-ci neutralisée, recyclée -- et moralisée -- sous les espèces de la non-littérature (le bien).

(Je n'ai rien a priori contre Michel Jean, les scouts et la vertu -- il m'arrive même parfois de pleurer en regardant un épisode des Télétubbies --, mais s'ils veulent vraiment se rendre utiles, alors qu'ils m'aident à déneiger mon char enseveli/minéralisé sous un palais de glace, et qu'ils s'abstiennent de toucher à la littérature.  Ce sera mieux pour eux, ce sera mieux pour mon char et ce sera définitivement mieux pour la littérature.)

Comme dirait Socrate: Oui, par Zeus!

Ou comme dirait Stephen dans une veille pub d'Au Bon Marché: Oui papa!

*

Sinon, hier soir, alors que la tempête faisait rage et que je fumais en face de mon condo, j'ai aperçu le vieux Sartre qui marchait d'un pas mal assuré entre les congères avec un jeu de Traction Aid à la main.  Je lui ai demandé s'il avait besoin d'un coup de pouce:

-- Nan, faut juste que je finisse La Critique de la raison dialectique avant d'aller me coucher. 




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