mardi 30 janvier 2018

Notes pour une théologie esthétique, 12

Lévinas dit quelque part qu'il n'y a rien d'unique sinon le «je» de la responsabilité.

À cet égard, la littérature pourrait de prime abord ressembler à une fuite: j'écris tout ce que je veux comme je le veux et je ne dois rien à rien ni à personne.  Je n'ai pas à «rendre de comptes». De fait, l'écriture qui s'aliène au profit des comptes à rendre ou à régler se place aussitôt sous le signe du Calcul, elle s'économise et se corrompt politiquement de l'intérieur, alors qu'il s'agit d'abord de se ruiner par adoration du singulier.

Mais en tirer aussitôt la conséquence que la littérature échapperait à l'horizon de la responsabilité me semble une erreur.  Il y a aussi une responsabilité propre à la soustraction, à la débauche ou à la chute.

L'impératif esthétique ne se réduit ni à l'impératif hypothétique ni à l'impératif catégorique.  Il ne s'agit ni d'un «je dois... si je veux...» ni d'un «je dois parce que je dois», mais bien d'un «je dois comme si je ne devais rien à rien ni à personne» -- si ce n'est à la chose même, à la singularité non fissible de l'aisthesis.

*

De l'écriture comme d'un labyrinthe dont on ne sort pas -- et dont on finit par goûter l'impossibilité de sortir comme l'expression de la joie la plus abrasive.

Savourer hors négoce le fait d'être complètement perdu, encaisser sans émoi la réversibilité des salles et des couloirs.  Au total, on ne se doit qu'au dieu qui nous égare ou à la main que l'on abandonne dans le cyclone des signifiants.