dimanche 23 octobre 2022

Mille millions d'éjaculats

 

1

 

Je dois vous parler de ma tante avant que le sperme atteigne le bord de la baignoire et que ma tête disparaisse sous le déluge de mon propre foutre.

Il y a deux semaines, c’était un lundi matin, j’ai reçu de ma tante un message plutôt troublant.  Elle me suppliait de venir la retrouver à Repentigny de toute urgence : elle devait m’entretenir d’une affaire importante qui ne pouvait plus attendre.  Elle consentait même à me dédommager de la journée de travail que j’allais sauter en conséquence de cette visite, mais de toutes les façons, elle me priait de la rejoindre là-bas le plus tôt possible.

Ce lundi-là, je ne pouvais évidemment pas savoir que j’allais, deux semaines plus tard, vous entretenir de ma tante en attendant de couler à pic dans une baignoire remplie à ras bord de mon mien jutron  Mais je vous dirai ceci : moi qui squatte encore l’appart de mes parents à l’âge de 26 ans, moi qui les ai rendus à moitié fou du fait que je refuse de décoller et que je ne conserve jamais une job plus de deux semaines, moi qui les ai poussés à bout à force de différer mon mariage avec Mazarine (cette fille de riche qui m’aime bien, mais qui a quand même des palettes de lapin et qui zozote comme une attardée), bref, moi qui suis ce qu’on peut appeler un raté intégral – oui, moi… ben j’ai toujours trouvé ma tante plutôt bandante.

Je ne l’ai pas vue souvent, remarquez, sinon de loin en loin, lors de rares réunions familiales, mais elle m’a toujours fait de l’effet.  Elle a beau avoir passé le cap de la cinquantaine, chaque fois que nous lui rendions visite, que je prenais place à ses côtés lors du dîner et qu’elle posait distraitement une main sur mon avant-bras, je sentais aussitôt une chaleur démente irradier de sa touche, un courant érotique d’une intensité exceptionnelle, et c’était d’autant plus troublant qu’elle n’en rajoutait jamais, ne posait jamais à la cougar --  non, même qu’elle était plutôt de style bas-bleu --, mais quand elle me touchait le bras, héé boy, ou que la courbe de ses seins gonflait la peluche de son chandail rose bonbon lorsqu’elle levait les bras pour ranger une assiette dans l’armoire, c’était plus fort que moi, je m’éclipsais en douce, courais me réfugier à la salle de bain, puis me branlais sauvagement, et pour aller plus vite, je giclais dans un des numéros du Magazine Littéraire qui traînaient dans le porte-revues, de préférence celui consacré à Auguste Comte.  Et si je traînais un peu trop, c’est Mazarine qu’on envoyait en éclaireure frapper à la porte :

- Qu’effe tu fous, biquet?  On t’attend pour le deffert, ma tante Alife a forti le gâteau aux framboives… miam… 

Bon, fidèle à ma vocation de raté, je n’ai jamais rien risqué.  Je bandais sur ma tante, et puis après?  Elle était heureuse en compagnie de mon oncle Hugo, un type plutôt taciturne si vous voulez mon avis, mais qui était follement amoureux d’elle, ça se voyait dans ses yeux, j’irais jusqu’à dire que ça frisait l’adoration, et même, lorsque ma tante lui parlait un peu sèchement, il en louchait et rougissait de honte…  Bon, je sais un peu mieux maintenant de quoi il en retourne, mais à l’époque comment aurais-je pu me douter que…

Plouip!  Encore un éjaculat.  J’ai calculé qu’à ce rythme, je serai englouti dans une heure ou deux.  Bon débarras…

Oh il y avait bien certaines rumeurs qui couraient dans la famille au sujet de ma tante…  Certains la disaient un peu sorcière.  D’autres laissaient entendre qu’elle était à la tête d’un système pyramidal de vente pour les produits Avon.  Mon cousin Greg m’avait même confié, entre deux lignes de coke, l’avoir déjà croisée dans un club sélect : il jurait ses grands dieux qu’elle était grimée en châtelaine médiévale et que mon oncle lui vernissait les ongles d’orteil sous la table...

Plouip, plouip!

Évidemment, quand j’ai pris le chemin de Repentigny, il y a deux semaines, je ne pensais à rien de tout ça.  À vrai dire, je croyais que ma tante voulait surtout me secouer les puces au sujet de Mazarine.  Il est vrai que je n’avais pas été très tendre avec elle ces derniers temps.  On s’était un peu engueulés, le soir du 26, parce que je tenais mordicus à voir l’épisode final de The Squid Game, alors qu’elle me cassait les couilles pour que je l’accompagne plutôt à une représentation de Riverdance – mais qu’est-ce que j’en avais à crisser?  Encaisser pendant deux heures un rigodon de gringalettes qui se disloquent les tibias sur un air de balade irlandaise pseudo-traditionnelle?  Elle n’avait pas prisé l’image.

- Regarde-toi!  Touvours écravé devant la télé dans le fous-fol de tes parents!  Et moi qui croyais te faire plaivir pour ton anniverfaire, vouh-hou-hou!

Cibole, je lui avais pourtant dit : pour mon anniversaire, je veux des fucking nachos et une branlette de compassion.  Rien d’autre.  Mais noooon, il fallait encore qu’elle se mette en tête de faire quelque chose de spécial, maudit crisse, qu’est-ce qu’elles ont à toujours vouloir faire quelque chose de spécial alors que tout ce qu’on leur demande, c’est de branler décemment, de sucer honnêtement et de ne pas laisser traîner leurs foutus pinceaux de maquillage sur le bord du lavabo?

En direction de Repentigny, je pensais donc : c’est ça, Mazarine est allée se plaindre à ma tante, mon compte est bon, l’affaire est entendue; ma tante – très cool et un tantinet mère supérieure -- va me réprimander tout doucement, insister sur le grand cœur de Mazarine, je vais bien sûr lui promettre de m’amender, d’être plus prévenant à l’avenir; ma tante me gratifiera d’un sourire compatissant, me dira *à la bonne heure*, elle me gardera sans doute à souper; au dessert, elle posera distraitement une main sur mon avant-bras, de sorte que je me précipiterai à salle de bain, prétextant un étourdissement, et je giclerai dans le numéro du Magazine Littéraire consacré à Lamartine…

Plouip!

 

2

 

En arrivant chez ma tante, la porte de l’appartement était entrouverte et une musique étrange, genre électro allemand, provenait du salon.  L’éclairage ne me semblait pas le même que d’habitude : il était plus tamisé, plus atmosphérique si on veut, et contrastait avec la luminosité solaire, presque visqueuse, qui nimbait d’ordinaire la salle à diner.

- Ma tante?  Mon oncle?

Je passai le seuil et avançai timidement dans le vestibule.  Des cris étouffés me parvenaient lointainement sans que je puisse dire s’ils faisaient partie de la trame musicale ou bien…

Parvenu au salon, je m’effondrai sur les genoux. 

Le souffle coupé, j’aperçus ma tante, nue intégralement; je la voyais de dos, elle se tenait au milieu du salon, jambes écartées, caressant de l’index le manche d’un fouet, les chevilles enfoncées dans des escarpins de couleur crème.  Sur le mur du fond, là où on apercevait d’ordinaire le vaisselier, une croix de saint André avait été disposée sur laquelle mon oncle était menotté, nu lui aussi et face contre le mur; son cul déchaussé portait la marque de cinglages récents et profonds.

- Il n’y a pas trois personnes au monde qui ont vu ce que tu vois.

La voix de ma tante me parvenait comme du fond d’un gymnase, altérée par une puissance et une hauteur qui me décomposèrent.  Je voulus me relever mais je n’y parvins pas; mon regard demeurait rivé à ses cuisses dont l’écart formait un triangle équilatéral.  Sans se retourner, elle dit :

- Je vais décrocher ton oncle de la croix, tu vas prendre la place de ce pauvre sans-dessein et je vais t’ouvrir le cul à coups de fouet.  Tu es une honte pour tes parents.  Tu es une honte pour nous.  Tu es une honte pour toute la famille.  Et tu as humilié Mazarine qui pourtant t’adore.  Tu ne la mérites pas.

Sa beauté avait quelque chose d’inhumain, sa nudité n’était pas exactement de ce monde -- je voulus sur le champ plonger mon visage dans la raie de ses fesses, mais j’étais paralysé et mes genoux flageolants me soutenaient à peine.

- Ma tante, est-ce bien toi?... je… tu veux me punir de quoi au juste, là?

- Te punir?  Mais non, bien au contraire, je vais te faire un don.  Tu vas recevoir de moi le sacrement de l’éjaculation perpétuelle.  Amène-toi, minable, rampe sous le pont de mes jambes et ouvre la bouche.

Cette fois, ce fut trop.  Je ne sais comment je trouvai la force de rouler jusque dans le vestibule, je devais ressembler à un de ces poissons préhistoriques qui effectuent un saut évolutif en direction de la terre ferme, mais je me traînai vaille que vaille jusqu’à la porte d’entrée, le cerveau brouillé par le rire fêlé de ma tante, et mon sexe était si dur que je giclai dans mon froc à l’instant où je franchis le seuil de l’appartement.  

Parvenu dans le rue de R…, je réussis tant bien que mal à me remettre sur pied, mais sitôt debout, je bandai derechef et giclai à nouveau, cette fois de façon plus abondante encore.  Je n’y comprenais rien.  Et tout au long des 20 kilomètres que je brûlai à bord de la Yaris de mes parents, je dus éjaculer au moins à 30 reprises et de façon si considérable qu’à l’arrivée mon pantalon se réduisait à une horreur textile indéfinissable et que le bras de vitesse gisait sous une toile de sperme si compacte qu’on eut dit un pilon minéralisé dans un chaudron de fondue au fromage datant de l’âge de pierre.

 

 

3

 

Ce soir-là, quand je suis rentré à la maison les culottes en charpie, ma mère n’avait pas eu le temps de me demander où j’étais passé que je lui giclai au visage. 

Peu importe ce que je disais ou faisais, je ne pouvais plus m’enlever de la tête la vision de ma tante brandissant le fouet, et je rebandais sitôt l’éjaculation achevée, et je rééjaculais sitôt la bandaison maximisée.

Je giclai dans le potage de mon père.

Je giclai sur tous les murs de la cuisine et jusque dans le lave-vaisselle.

Je giclai sur l’horreur de perruche à qui mon cousin Greg avait appris à dire le mot *fuck*.

Je ruinai ma collection de Playboy Vintage et tous les numéros de l’Almanach du peuple qui traînaient dans le salon de mes parents.

Je giclai sur mon portable alors même que j’expliquais la situation à la réceptionniste de l’hôpital Maisonneuve.

Désespéré, j’implorai Mazarine de me branler jusqu’à ce que j’en crève, mais à la 56e éjaculation, elle craqua et se mit à hurler : Tu es un obfédé fexfuel, ve ne veux plus vamais te revoir!

Après 48 heures d’éjaculation forcenée, je quittai en catastrophe la maison de mes parents et je courus chercher refuge dans un motel minable de la 117, non sans avoir giclé entre les seins de la patronne lorsqu’elle me tendit la clef de la chambre.  Après avoir sifflé trois bouteilles de mauvais vin, je m’effondrai, exsangue, dans la baignoire pour ne plus jamais en sortir.

Voici bientôt deux jours que je jouis de la sorte sans discontinuer, tournoyant sur les bords d’une vision qui n’a pas de fond, éjaculant au rythme d’un plouip! aux 30 secondes et m’enfonçant toujours davantage dans la fondue spermatique dont le niveau va bientôt excéder les capacités de la baignoire et me fossiliser vivant comme un noceur de Pompéi.

Je n’en ai plus pour très longtemps.  Le niveau monte lentement mais sûrement, et je n’ai plus la force de bouger.  J’entends toujours le fouet de ma tante qui fend la distance et les ténèbres.  Je résisterai, je résisterai, je résist…

Je rampe sous le pont de ses cuisses parfaites, ma langue glisse sur ses talons aiguilles de couleur crème, plouip! éclair de flash et puis black-out.




jeudi 6 octobre 2022

L'exil


05 octobre

Voici bientôt 3 jours que je suis sans nouvelles de Lady Suspiria, mais j’hésite encore à lui envoyer un message.  Dieu sait de quelles fureurs elle est capable quand je prends l’initiative de la contacter...  N’empêche, 3 jours!  Et si je me logue sur Twitter ou Fetlife, je constate que son fil d’actualité est étrangement calme…  Quelque chose cloche, ce n’est pas dans ses habitudes de prendre une telle distance face aux réseaux.

Pas plus tard que dimanche dernier, son donjon fourmillait de soumis; elle vrombissait comme une reine au milieu de sa ruche.  J’ai dû prendre des centaines de clichés avec mon portable, et au moins une vingtaine de vidéos.  Car telle est ma fonction : je suis le photographe attitré de ma Maîtresse, le régisseur de ses performances, le préposé à son immortalité, si on veut…  Et je relaie systématiquement tous ses exploits sur le Net.

- Tu as capté ça?  Ne me dis pas que tu as laissé passer ça!

- Rassurez-vous, Déesse, c’est déjà sur Fetlife.  Et le compteur de likes est en train d’exploser!

Le sommet de ce dimanche a été atteint, au milieu de l’après-midi, lorsque ma Maîtresse s’est accroupie, nu cul, au-dessus de la bouche écartelée de Tom-Tom; elle lui pétait au visage sans discontinuer, ce n’était qu’une question de secondes avant que…  Je cadrais ma Maîtresse, mon portable flottait à quelques centimètres au-dessus de son visage de couventine possédée tandis que, tout autour de nous, des lopettes castrées et des gimps cadenassés se tordaient comme des vers sur le tapis.

Les images que je captais sur bande vidéo étaient retransmises en direct sur un site sulfureux du Dark Web.  Lorsque la Déesse s’ouvrit les entrailles et qu’une cataracte d’étrons ensevelit le visage de Tom-Tom, elle se mit à hurler :

- COMBIEN?

- 87 likes… 122…  308…  Maîtresse, c’est prodigieux!

- IMBÉCILE!  COMBIEN DANS LE COMPTE?  LE COMPTE!!

- Heu…  attendez… ah!... 422 dollars en 34 secondes, c’est un record!

La soirée s’était achevée dans le vague et la décadence étincelante des flûtes de cristal jetées contre les briques du foyer.  Deux fouetteuses laotiennes se cinglaient mutuellement, et les paris étaient ouverts pour savoir quelle serait la première à s’effondrer.  À la sortie du donjon, aux petites heures du matin, les cris de ma Maîtresse, les échos de son rire malade nous accompagnaient jusqu’à la porte des cafés.

Je ne sais combien de temps je pourrai tenir sans lui textoter.

Mais le plus étrange, c’est encore le silence radio de la part de ses admirateurs.  J’ai contacté Tom-Tom, Balrog et Casse-Noisette, tous les soumis de sa garde rapprochée, et aucun d’entre eux ne m’a recontacté.

Il est arrivé quelque chose de grave, c’est sûr.

L’incertitude est intenable.  Je vais encore laisser passer quelques heures, mais si je n’ai toujours aucune nouvelle en début de soirée, j’irai frapper à la porte de son donjon, et tant pis si elle me reçoit avec une brique et un fanal : n’importe quoi, je l’encaisserai, je ferai avec.  N’importe quoi, mais pas ce silence.

 

07 octobre

Hier, je me suis donc pointé chez ma Maîtresse.  Je n’ai jamais eu à frapper à la porte de son donjon, elle était déjà ouverte.  J’ai trouvé Lady Suspiria dans un état de délabrement qui me donna envie de pleurer : plantée devant l’ordi, le pied en équilibre sur le coin de la table, elle portait une robe de chambre élimée; ses cheveux étaient sales et elle achevait une bouteille de mauvais vin qu’elle sifflait à même le goulot.  Les accessoires du donjon avaient été refoulés, pêle-mêle, contre les murs, et toutes les étagères vidées de leurs sculptures.

- Ah, c’est toi?

Ma présence ne semblait même pas la surprendre.  Sa bouche était pâteuse et elle s’exprimait avec la diction laborieuse d’un ivrogne fini.

- Approche…  Regarde ça…

Sur l’écran de l’ordi, j’aperçus une photo où je reconnus tout de suite Casse-Noisette et Tom-Tom : ils étaient tous deux prosternés devant une domina dont les rondeurs m’étaient familières…

- Cibole, elle fait cinq fois mon poids…  Non mais regarde cet hippopotame…  Mes deux meilleurs esclaves m’ont larguée pour une bonne femme dont les chevilles pissent le gras…  Haha…  Tu la connais?

Je mentis.  Dans les circonstances, lui avouer que je connaissais Baby Papillon, même si ça n’était que de réputation, l’aurait achevée.  J’étais à bout.  Ses esclaves l’avaient trahi, le reste de la meute leur avait emboité le pas, dieu sait pourquoi, et j’étais donc tout ce qui lui restait, l’unique vestige d’une gloire réduite à néant en l’espace d’une seule nuit.  Mais son humiliation, loin de la réduire à mes yeux, me fit me jeter à ses pieds et sucer avidement ses orteils.  J'aurais voulu m'arracher la tête.

- C’est ça, mon cochon, suce, suce à fond…  Allez, sors ton portable et prends-moi en photo, fais-moi un gros plan sur la crasse massée entre mes doigts de pied, pauvre tarlo, je vais te vomir dans la bouche, exactement, je vais te dégueuler dessus et tu me feras un album-photo intitulé : La débâcle de Lady Cocue.

- Déesse, ne vous… je vous en prie… il ne faut pas se laisser aller…  ce n’est sans doute qu’une mauvaise plaisanterie…  vengez-vous sur moi de ce mauvais sort, cela vous fera le plus grand bien…

- Elle te fait bander?

- Pardon?

- La Papillon pitoune…  Regarde comme ils se vautrent à ses pieds, non mais regarde-moi ça…  Elle doit peser pas loin de 300 livres…  Casse-Noisette a l’air de sortir de ses bourrelets, et Tom-Tom…  sans blague, tu as déjà vu Tom-Tom me regarder avec une telle folie dans les yeux?

- Ne parlez pas ainsi, je vous en prie, je…  CINGLEZ-MOI!  FOULEZ-MOI AUX PIEDS! PÉTEZ-MOI LA GUEULE POUR L’AMOUR DU CHRIST!

Du pied, elle me repoussa mollement.  Je roulai sur le dos, lui offrant mon ventre à labourer, mais elle s’éloigna en direction de la cuisine en vacillant.  Lorsqu’elle revint avec une nouvelle bouteille, son visage était pareil à celui d’une morte.  Les pans ouverts de sa robe de chambre flottaient sur ses côtes, et j’avais beau me convaincre que cette fille qui tanguait entre les murs n’avait pas plus de 25 ans ans, sa poitrine n’en flanchait pas moins comme celle d’une octogénaire.

- Va-t'en.

- Mais… mais Déesse, pardon… je vous appartiens toujours, moi…  je vous demeure fidèle et loyal, moi… pas comme les…

- Tais-toi.  C’est terminé.  Plus de Déesse, plus de Maîtresse. Je ne me relèverai jamais d’un coup de cochon comme celui-là, tu entends, c’est fini.

- Mais ça n’a aucun sens…  mais voyons, qu’allez-vous faire?

- Bof...  Je vais peut-être aller passer quelques jours chez mes parents dans les Cantons-de-l'Est pour commencer, et puis après, on verra.  Ma sœur tient un salon de coiffure à Granby, pourquoi pas?  Mais pour le reste, bon débarras...

- Mais Déesse, voyons… qui… qui va me fouetter désormais?  Qui va m’encager?  Me cliper les couilles?  Me vider des sacs à ordures sur le crâne? 

- Ton problème.  Rien à foutre.

- Quoi?  Comment?

- T’ES BOUCHÉ OU QUOI?  JE T’AI DIT QUE JE FERMAIS!  DÉGAGE!

Dégrisé par ses hurlements, je la vis comme pour la première fois.  Sans son attirail, ses bottes et son maquillage, elle avait vraiment une dégaine de cocotte et une tête à faire chier les vendeuses dans les boutiques.  Cela dit, mon cul n’allait pas s’engoder tout seul.  Il me fallait trouver de toute urgence une nouvelle maîtresse.    

 

10 octobre

Depuis les 3 derniers jours, j’ai écumé non-stop à peu près tous les sites régionaux qui concernent, de près ou de loin, l’univers du BDSM.  C’est un petit monde, il faut dire.  Les dominas se connaissent de loin en loin et participent presque toutes aux mêmes événements.  La déconfiture de Lady Suspiria et la fermeture de son donjon faisaient d’ailleurs l’objet de commentaires frénétiques sur les réseaux. 

Le sevrage était sévère.  Au service de ma maîtresse depuis 2 ans, l’exil m’était insupportable.  Du jour au lendemain, je me retrouvais sans bottes à lécher, sans injures à essuyer, sans ordres à recevoir.  Si une femme ne me gueulait pas dessus dans les prochaines 24 heures, j’allais devenir fou. 

Dans la seule journée du 7 octobre, j’avais donc présenté mon offre de service à une centaine de dominas.  Sur ce nombre, une dizaine seulement avait daigné me répondre, et le message était on ne peut plus cinglant : on ne voulait pas des restants de cette ordure de Suspiria.

Ce soir-là, au bord de la catastrophe, je me rendis dans un salon de massage situé dans un quartier mal famé du centre-ville.  L’hôtesse que l’on m’assigna était une vieille Vietnamienne qui parlait à peine le français.  Quand je parvins à lui faire comprendre que mon désir était d’être brutalisé, elle se mit à ricaner en disant : Sad boy want massage, sad boy very nasty, me beat you bad, me beat you long time…  Ses dents pourries évoquaient des stalactites qui ne tenaient qu’à un fil; j’eus tout juste le temps de me ruer à l’extérieur du salon avant de gerber dans la ruelle avoisinante.

Rentré chez moi, j’envoyai à ma maîtresse déchue des messages sinistres et larmoyants auxquels elle ne donna jamais de réponse.

 

12 octobre

Cet après-midi, je me suis trainé de force à la terrasse du Second Cup, coin Saint-Denis et Sainte-Catherine.  J’étais alors dans un état d’ivresse pitoyable.  Bouffi, suant et décoiffé, je commandai un espresso.  À la table voisine, je repérai une bourgeoise plutôt snob mais fort élégante qui était en pleine conversation téléphonique.  Ma première idée, en la voyant, était qu’elle devait travailler dans une banque ou une quelconque agence de courtage.  Elle avait croisé les jambes sous la table et le motif végétal de ses bas nylon me fascinait.

Comme dans un cauchemar, je me levai et marchai droit à sa table.  Elle fit d’abord mine de ne pas me remarquer, puis, voyant que je fixais sur elle un regard de ruminant, elle interrompit sa conversation :

- Pardon, vous désirez?

- Permettez que je vous zigne la jambe, ce ne sera l’affaire que de quelques secondes…

- Vous dites?

- Votre jambe.  Laissez-là moi quelques instants.  Je vais me zigner dessus et après je décampe, promis.

Elle était manifestement sonnée.  D’abord, elle rougit, puis elle pâlit.  Je crus ensuite qu’elle allait crier, mais la surprise la suffoquait au-delà de toute mesure.  Puis je vis ses doigts pianoter le 911 sur le clavier de son portable.

Plus tard, dans la soirée, je devais expliquer aux policiers qu’il ne s’agissait que d’une mauvaise plaisanterie.  La jeune recrue, une petite blonde gracile, qui accompagnait l’officier arborait une paire de menottes à sa ceinture.  Des vraies.  Après son départ, je me masturbai en l’imaginant en train de m’enfoncer sa matraque dans le fion.

 

9 décembre

Près de deux mois se sont écoulés depuis la dernière entrée de ce journal.

Alors que je n’attendais plus aucune nouvelle de son côté, voici que j’ai reçu, il y a trois jours, un message de mon ancienne maîtresse.  En substance, elle me disait qu’elle habitait maintenant à East Angus, qu’elle serait heureuse de me revoir – si du moins je ne lui tenais pas rigueur de mon congédiement des derniers mois –, mais précisait qu’elle était très malade et que je ne pouvais plus attendre grand-chose d’elle, si ce n’est une forme de camaraderie dont les termes n’étaient pas précisés.

C’était bien plus que tout ce que j’avais pu espérer, aussi, le soir même, je pris le train pour les Cantons.

À mon arrivée à East Angus, une neige légère flottait entre ciel et terre : on aurait dit une boule de verre que l’on secoue.

Je retrouvai Lady Suspiria, Jeanne-Marie Giguère de son vrai nom, dans un appartement miteux situé à la limite du village.  Et ce fut le choc.  La peau sur les os, le crâne pratiquement dégarni, on eut dit qu’elle sortait d’un camp de concentration.  Je vis qu’elle avait fait un effort pour se maquiller, mais sa robe cintrée, d’un rouge vif, faisait saillir ses côtes et donnait à ses clavicules une apparence de tuyauterie sur le point de se rompre.

- Au début, je portais une perruque.  Puis quand j’ai compris que les traitements de chimiothérapie ne servaient plus à rien, j’ai renoncé.  Je retourne à l’hôpital la semaine prochaine, tu comprends?

Sa voix était faible.  Elle semblait épuisée, à la limite de l’absence.  Je compris qu’elle était déjà ivre, qu’elle n’aurait jamais supporté de me revoir à froid, pour ainsi dire.  Je me réfugiai dans la salle de bain quelques minutes, et je pleurai lâchement, sans aucune retenue.  Quand je la retrouvai dans le salon, elle avait jeté sur ses épaules une laine qui lui donnait les allures d’une petite vieille.

- Plus personne n’a les moyens de se payer l’électricité dans le coin...  Nos vieux tombent comme des mouches au cœur de l’hiver, et personne n’y fait rien.  Les autres se chauffent comme ils peuvent.  Moi, je bois – pour ce que ça change, anyway?  Alors tu vas boire avec moi, ok?  Tu vas cesser de pleurer et on va faire la fête.

À moi seul, je vidai à toute vitesse une bouteille de Baron Samedi.  Elle fit de même avec son verre de Bushmills.  Je me sentais à la fois ignoble et excité.  Lorsque je tentai de me rapprocher d’elle, elle laissa tomber sa petite laine et fit passer la robe par-dessus sa tête.  Son haleine exhalait des effluves de rhum mêlés à des relents de pop corn pourri.  Absurdement, je posai la main sur son sexe : à travers le tissu de sa culotte élimée, je perçus le contact glacial des grandes lèvres.  L’éclat de la neige tombante à travers la fenêtre était insupportable.

- Ça ne sert à rien, je ne peux plus… c’est un des effets de la chimio…  Je ne pourrai pas non plus te marcher dessus, je suis trop faible pour tenir sur des talons, mais je peux te branler… enfin, si tu y tiens…

En baissant la tête, j’aperçus ses seins qui ressemblaient à des pis de veau.  Son ventre décharné faisait ressortir le nombril : on aurait dit un éclat de tortellini égarée sur une planche à découper.  Je dérivai avec elle dans les ombres croissantes du salon et je pleurai jusqu’à ce qu’elle m’ordonne, d’une voix éteinte et mauvaise, de quitter l’appartement.


***

 

Je me rappelle avoir erré dans les rues de East Angus alors que la nuit tombait et que la neige se faisait plus dense.  Je n’étais pas convenablement vêtu pour la saison, mais je refusais pourtant de me réfugier dans les rares cafés encore ouverts.  Je me savais, mieux, je me voulais perdu.  Je marchais droit devant, aux limites de l’abrutissement, ignorant le vent qui se levait et les flocons qui me cinglaient le visage.

Au bout du chemin, à la limite du quartier, je coupai à travers un champ jusqu’à une ferme industrielle dont l’éclairage donnait aux bâtiments une allure spectrale.  Grelottant, je poussai la première porte que je rencontrai et me retrouvai dans une espèce d’étable high tech peuplée d’une centaine de vaches qui meuglaient faiblement dans les box.  Je me rappelle m’être collé aux flancs des bêtes et avoir puisé dans ce contact une chaleur maternelle, une paix et une douceur quasi utérines.

C’est alors qu’un détail me revint de la rencontre avec mon ancienne maîtresse, un détail grotesque que j’avais tout fait pour refouler sur le coup, mais qui à présent, au milieu de cette béatitude bovine, se rappela à moi de façon obsédante : ses ongles d’orteils étaient démesurés, elle n’avait pas dû les tailler depuis des semaines, et en les voyant, j’avais absurdement pensé qu’elle était peut-être en train de se transformer en loup-garou.

Je notai que les vaches fixaient sur moi un regard doux et stupide.  Puis je sombrai.

 

 

14 décembre

À mon réveil à l'hôpital de Granby, le médecin m’apprit que l’on m’avait retrouvé, inconscient, la queue enfoncée dans une trayeuse électronique, et que je devais d’être en vie au seul fait que le sperme avait enrayé le mécanisme et déclenché l’alarme.  C’est le fils du proprio du Clos Vaillancourt qui m’avait découvert, exsangue et siphonné, avec le sexe coincé dans l’engin.

Le hasard fit que j’avais été hospitalisé dans une chambre qui se situait à 5 portes de celle où mon ancienne maîtresse venait de décéder deux jours plus tôt.  Ce détail aurait dû m’émouvoir, mais quand l’infirmière m’apprit la chose, je sombrai dans une hébétude de lobotomisé.

Le lendemain, le médecin me donna mon congé.


***


J’écris ces dernières lignes dans l'autobus qui me ramène à Montréal.  J’ai rendez-vous demain avec Baby Papillon qui tient à ce que je lui raconte toute l’histoire.  Avec un peu de chance, qui sait, elle m’ordonnera peut-être de lui bouffer le cul entre deux épisodes.