vendredi 17 septembre 2021

Comment dire Oui à un référendum qui n'aura pas lieu

Mise en situation: hier soir, j'ai vu Hubert Aquin qui fumait en camisole sur la galerie d'un motel miteux de la 117.  Trois chars de la SQ sont arrivés peu après: les beus l'ont embarqué avec 964 versions de la question référendaire.  (Des morts subtils vaquent à l'éternel retour du Non.)

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La librairie et la bibliothèque sont les seuls labyrinthes que je connaisse dans lesquels le plaisir de s'égarer est si intense qu'il n'y a que la tristesse d'en sortir pour l'égaler.

Pendant ce temps, Hubert Aquin lubrifie de toutes ses glandes le canon qu'il va insérer dans sa bouche avant de réexpédier son oeil de verre aux étoiles, et un éditorialiste de La Presse -- dont la sagacité est proverbiale -- va nous expliquer pourquoi le Non est la seule option raisonnable avec une ferveur égale à celle que déploie un morpion dans le brasier anal d'Alexandra.

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Je ne regarde jamais le débat des chefs:

A priori, ça me met en tabarnak,

Et si la loyaliste à tête d'astronef

Récidive, je passe en mode érotomaniaque.

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Rien n'obligeait ton visage à finir entre mes mains.  Je l'ai cueilli comme un chardonneret qui tombe après avoir donné de la tête dans une vitre, et j'ai reçu de toi le sacrement de la confusion.  Nulle part avait le sens de mes lèvres écrasées sur ton ventre en octobre 70.

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Quand on y songe, parler est terrifiant.  Penser à ras la terreur est épuisant.  La sauvegarde automatique des sensations n'était pas nécessaire, et à la fin le poème saute comme un plombage qu'on recrache dans ses mains.

Pendant ce temps, Hubert Aquin referme ses lèvres autour du canon.  Les bonnes soeurs de Villa Maria vont en prendre plein la cornette.

Le Regroupement des propriétaires d'habitations locatives prendra fait et cause en faveur du Non, mais seulement après avoir justifié dialectiquement l'éviction des voyants et la déportation des poètes récalcitrants.

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J'aime les entretiens révolutionnaires qui s'achèvent dans le vague sur une terrasse, quand les visages prennent la nuit de haut en bas.

(Sinon, outre que des entraves majeures sont à prévoir dans le pont-tunnel de nos pensées, j'ai vu une bonne femme en chaise roulante cracher à petites salves sur un char de police parké dans le spot réservé aux taxis, coin Saint-Laurent et Saint-Zotique.  C'était en octobre 95.)

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Seul dans le Tim Hortons de Varennes, je persiste

À vénérer le vide, ma queue courte et bandée

Enfilant une théorie de beignets fascistes

Avant de finir en prison comme Edgar Fruitier.

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Lorsque la pluie tinte à la surface des feuilles froissées, qu'elle rend le même son qu'une tête introduite dans un sac de Ruffles, je renouvelle mon abonnement au visible tout en sachant que ma carte de crédit est expirée.

Je suis le compagnon de route de deux référendums ratés et d'un kamikaze formé à l'École nationale de la fureur.

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De moins en moins de gens lisent, de plus en plus de gens écrivent.  Comme le disait Goldblum dans Jurassic Park, life will find a way.

(Sinon, j'ai vu Gaston Miron péter les plombs à la caisse du Costco parce qu'un fan lui a demandé de dédicacer le Guide de l'auto 2003.)

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La poésie seule peut prendre à rebours le phénomène en direction du nyctomène, rebrousser le chemin de la révolution jusqu'à la singularité nocturne du Oui.

En d'autres termes, tout le caucus du Parti libéral ne vaut pas le poil de cul d'Alexandra que j'ai recraché en sortant de Chez P...

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Le Québec est un poisson mort

Clic! 

Éclair de flash

L'oeil de verre de la lune roule dans les buissons de Villa Maria.




 

dimanche 5 septembre 2021

Approche existentielle de la pandémie

Ce que je cherche à exprimer n'a peut-être pas beaucoup de sens (trop de choses ont glissé au néant depuis les deux dernières années, se sont spectralisées dans les coins).  

Ce qui gêne l'expression ici, je m'en rends bien compte, c'est la fracture entre l'éthique et l'esthétique.  Je voudrais ne pas avoir à soulever la question de savoir de quel droit je puis achever la phrase que je couche en ce moment si je l'achève en disant que jamais le monde (la ville, les routes, les espaces déplacés de nuit par errance estivale) ne m'a semblé aussi profond, aussi réel que depuis le début de la pandémie, alors que, soudain, le primate civilisé se raréfiait au coin des rues.

Le remue-ménage du Collectif a toujours atténué la portée tragique de certaines évidences; la pandémie, en économisant les rapports corporels, en distribuant le visible bloc par bloc, a libéré quelque chose que je n'aurais jamais cru possible, soit la révélation brutale de ceci que nous n'avons rien à voir avec ce monde, et que c'est précisément dans ce ne rien à voir avec que réside la chance la plus rare et la plus déchirante.

Pendant que des vieux crevaient par milliers dans les manoirs abandonnés, ma propre impermanence m'a sauté à la figure; bien entendu, je savais depuis toujours que je n'étais pas invulnérable, que je pouvais disparaître n'importe quand, mais voici que j'étais enivré de le savoir; je me rappelle de la joie volcanique, parfaitement égoiste, qui me montait au coeur en même temps que la certitude sensible de ma mortalité, alors que je brûlais la troisième voie de l'autoroute 15, le soir, pour aller je ne sais où par les solitudes immensifiées.

Le ciel fixe, bêtement étoilé.

Et au hasard des stations, tout visage avait encore la ferveur d'une apparition, la moindre rencontre aspirait à une dimension mythique: le sous-titrage du Collectif était aboli, chaque corps devait parler sa propre langue, chaque geste devait se défaire en un baiser de secours ou un adieu d'occasion.

Et je saluais la violence des néons quand je poussais la porte d'un dépanneur avant minuit, la terrasse lunaire d'un Tim Hortons déserté, où je m'attablais et laissais le café fumer entre mes mains posées à plat sur la table, juste pour le plaisir de savoir que rien n'allait se produire précisément parce que tout pouvait arriver.

Le monde était à crier et pourtant jamais, jamais l'angoisse n'est venue.

Il y a même de ces soirs où j'aurais voulu écrire un court roman qui se serait intitulé La Joie.