mardi 12 mai 2015

Prolégomènes à une pratique repensée de la révolution

1.  L'époque exige que nous puissions tirer au plus crisse les conséquences pratiques de notre être-fourré-au-plus-profond. 

2.  Si Heidegger, dès le départ, s'était donné la peine d'intégrer l'être-pour-le-cul à la liste des existentiaux qui figurent dans Sein und Zeit, nous n'en serions peut-être pas là (là désignant la situation à l'intérieur de laquelle il est possible à tout un chacun de mesurer, avec une conscience toujours plus aiguë, la profondeur de son être-fourré par le système (système désignant la totalité ouverte, échappant à tout inventaire empirique, des agents qui nous enquiquinent et dont l'agressivité protophallique, invisible à elle-même, se signale toutefois de loin en loin par la cristallisation épisodique, ici ou là, à la télé ou sur internet, dans le métro ou dans la rue, qui par une tête de cul, quoi par un discours de cul, de kossé par une politique de cul, mais toujours et en tout lieu par le biais d'une stratégie enculatoire qui sollicite de notre part rien de moins qu'une réponse politique totale, sans reste et sans quartier)). 

3.  Ainsi, pour avoir opposé une résistance injustifiée à faire de l'être-pour-le-cul un des axes les plus inflammables de notre rapport à la totalité de l'étant, Heidegger a échoué à initier une prise de conscience révolutionnaire de notre être-fourré-ici-et-maintenant.  Car si l'être est tout et que tout est cul, il s'ensuit rigoureusement que l'être est cul et qu'il n'y a pas à sortir de là, tant et pour autant que tout est à rentrer là-dedans.  La coupe à ras de l'intellect, opération perpétrée quotidiennement par nos élites de cul, nous oblige donc à détourner de la Lichtung nos yeux de biche effarée, à remballer toute cette ontologie sylvestre et autres flonflons issus de la mythologie nordique pour lui préférer la sortie des crocs et la nécessité du manifeste.

4.  Pour s'en convaincre, il suffira d'ouvrir la télé et de voir apparaître la tête de cul de Patrice Roy.  La nécessité de la désenculation est déjà donnée à partir de cette simple expérience.

5.  Dès lors que l'être est à penser dans l'horizon du cul, et pour autant que nous nous tenions à la hauteur d'une telle pensée, il n'est donc pas étonnant que le vrombissement des bites se fasse de plus en plus obsédant, et que la conscience elle-même ne se démêle plus de cette obsession.  En conséquence de quoi, recalés par ce rêve où le cri ne vient pas, nous nous réveillons faiblement avec le mot de CASTRATION au bord des lèvres un peu comme nos ancêtres se sont éteints authentiquement avec le mot de RÉVOLUTION enfoncé dans le cul.

6.  Si la désenculation doit être possible, il y a donc tout lieu de préférer Heidegger à Marx moyennant un ajustement de l'appareil ontologique.

7.  Mais enfin, monsieur, ce ne sont là qu'insanités.  Mais enfin, monsieur, calmez-vous.

8.  Mais crisssssse, voyez un peu la convivialité névrotique de la morue qui anime une émission culturelle.  Observez comme elle s'y prend pour mousser un roman fafouin ou une autobiographie glaireuse qui finiront, comme vous vous en doutez, dans le palmarès des coups de coeur de Renaud-Dépôt, alors qu'en des temps plus rigoureux, on aurait eu tôt fait d'assimiler ce type de produit à un crime contre l'humanité, au même titre que les exactions hutus ou les horreurs étalées sur les présentoirs de Tim Horton's.  Oui, voyez tout cela, et trouvez encore la force de contester devant moi le sentiment le plus vif de votre l'avoir-plein-le-cul.

9. Y a tu d'la bière icitte / Y a tu d'la bière icitte / Si y a pas de bière icitte / On saq not camp d'icitte (la pognez-vous, monsieur?)

10.  Reprenons.  Nous appellerons Culture (avec un grand Cul) le fait de notre être-fourré le plus propre, ce que devient le tit-cul (avec un petit cul) que nous sommes nous-mêmes de prime abord et le plus souvent lorsque la fine fleur de nos élites organise, en douceur d'abord, puis de plus en plus effrontément, l'impossibilité de la retraite en direction de la pensée, et qu'elle consacre la réduction de tout esprit critique à un dépotoir conceptuel où il n'y a plus rien à faire que de liker à l'infini l'espace laissé vacant par le retrait de la bite de notre Père qui n'est plus tout à fait aux cieux depuis que Gaétan Barrette lui a coupé sa susvention.

11.  La rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie (Lautréamont) manifeste un coefficient poétique au moins égal à celui de la coïncidence historique, dans un coffre de char, entre un ministre libéral et les éclairs de flash des journalistes de Photo-Police.

12.  Ma yeule.

13.  Reprenons.  Nous qualifierons de Surculation le phénomène saturé de notre être-fourré lorsque la déflagration du blasphème prolonge tout naturellement l'émission du blasphème précédent, et que nous nous trouvons bien malgré nous entraînés dans une spirale inflationniste telle que tout tabarnak renvoie à l'osti qui le précède non moins rigoureusement qu'au câlisse qui le suit.  (Le concept de Surculation ne doit évidemment pas être confondu avec la performance sociolinguistique du camionneur qui déclare, entre deux bouchées de torsade à la cannelle «Ouain, je prendrai pas le pont tu suite, y a un peu trop de surculation.»).

14.  Fifty Shades of Grey n'est pas une illustration empirique parmi d'autres de la démonstration en cours: c'en est le sens profond, la représentation érotique du premier plan d'écoulement de l'Un-Cul qui cède sous le poids de la soumission phénoménale à ses propres diktats.  Il apparaît ainsi que la révolution est un concept périmé: la désenculation seule peut lui succéder à titre d'horizon disponible, et fournir à la pensée les éclats de verre requis pour la coupe des concepts secondaires.

15.  Reprenons,...........




vendredi 8 mai 2015

Notes pour une théologie esthétique 5

Je relis Trou de mémoire de Hubert Aquin: «Tous les romans sont policiers, c'est l'évidence même et je n'y peux rien.  Quand j'ouvre un livre, je ne puis m'empêcher d'y chercher la silhouette cocaïnomane du génie de Baker Street et l'ombre criminelle qu'il projette sur toutes les pages blêmes de la fiction.  On a tort d'enseigner l'histoire de la littérature selon une chronologie douteuse: elle commence au crime parfait, de la même façon que l'investigation délirante de Sherlock Holmes débute immanquablement à partir d'un cadavre».

Je note l'élargissement de la séquence: si tous les romans sont policiers, la littérature ne se limite tout de même pas au roman.  Or Aquin affirme que la littérature (dans son ensemble, donc?) commence au crime parfait. Autant dire que la poésie, l'essai, le théâtre, et le roman tout aussi bien, sont par essence et dès l'origine placés sous le signe de la coïncidence entre le crime et la perfection.

D'où la question: que doit être la littérature si son élan originel n'est possible qu'à partir du crime parfait (et/ou à l'inverse: que doit être le crime parfait si la littérature n'est possible qu'en raison de son événement?)

La littérature et le crime parfait s'inscrivent immédiatement dans un rapport de détermination réciproque, et c'est ici -- précisément ici -- qu'il faut prendre garde de ne pas tomber dans le piège de la «chronologie douteuse».  Aquin ajoute: «Si l'on tente de comprendre Dante sans avoir mesuré le rôle de Sherlock Holmes et son influence incantatoire, on fait fausse route.  On invertit les séquences d'un film linéaire dont le centre repose dans le crime, acte central qui paradoxalement, une fois perpétré, agit sur une seconde chaîne de dérivés».

Première remarque: le nom de Dante ici ne surgit peut-être pas aussi fortuitement qu'on pourrait le croire de prime abord.  La démonstration aurait tout aussi bien pu s'appliquer à Cervantes ou à Homère.  Alors pourquoi Dante?  Hypothèse: peut-être parce que dans le cadre de la Divine Comédie,  si ce n'est dans tous les cadres de référence possibles, il n'y a que Dieu et/ou le Diable qui puissent être capables d'un crime parfait.  Le commencement de la littérature ne serait, dans ces conditions, pas plus dissociable de l'horizon du crime parfait qu'il ne l'est de celui de la théologie, dans la mesure où le crime parfait n'est lui-même possible que s'il est perpétré par un acteur qui affiche un coefficient spirituel d'une extrême intensité.

Seconde remarque: le refus de la «chronologie douteuse» ne se justifie pas chez Aquin à partir du rapport de détermination réciproque entre la littérature et le crime parfait, mais en vertu de l'inversion des séquences d'un «film linéaire» qui, correctement déroulé, va de Holmes à Dante, et non de Dante à Holmes, donc en vertu d'un rapport de causalité dans lequel c'est le crime parfait qui produit la littérature et non l'inverse.  Mais alors c'est que la linéarité du temps, la conception linéaire du temps n'est pas fondamentalement remise en question.

Mais ne pourrait-elle pas l'être?  Ne devrait-elle pas l'être?  Autrement demandé: face au soupçon pesant sur la «chronologie douteuse» propre à l'enseignement de l'histoire de la littérature, ne pourrait-on pas, non moins rigoureusement, autoriser le soupçon d'une conception douteuse de la chronologie elle-même comme «film linéaire»?

Si le crime parfait et la littérature sont bien, comme je le suppose, dans un rapport de détermination réciproque (et non dans un rapport de causalité ou de succession linéaire), la question devient affolante: la littérature ne serait-elle pas le crime parfait, le seul crime parfait ne serait-il pas le crime littéraire lui-même, crime dans lequel l'enquêteur, le cadavre et le criminel sont si organiquement liés, procèdent à un échange de signes si serré qu'on pourrait aller jusqu'à dire que la littérature est ce paradoxe d'un policier enquêtant à vide sur son propre suicide, et ne pouvant se résoudre qu'à condition de perdre toute trace de lui-même, ne menant l'enquête que dans l'énigme ouverte par l'éternel (et inintelligible) retour de son propre cadavre?

«C'est l'évidence même et je n'y peux rien».