dimanche 7 juin 2020

Superverspépèreman (nécronouvelle)


Je me nomme Télesphore Lacasse, j'ai 78 ans et j'en ai plein le cul.  Prisonnier à vie du CHLSD de la Villa des Moribonds sise derrière le Métro Plus André-Grasset, ceci est le récit d'un attentat terroriste.

Ce soir, après avoir balancé ma couche pleine de pisse dans le corridor, je me suis jerké au-dessus de la photo de Gaétan B. pendant une heure, mais rien n'est sorti.  L'infirmière de nuit me dit toujours que c'est l'effort qui compte. Dans la vie en général ou dans le bain hebdomadaire en particulier, il ne faut jamais désespérer, tout va bien aller, c'est ce que l'infirmière me répète sans cesse, béni soit son sourire gâteau Vachon.

À ce qu'il paraît, j'ai testé positif à la Covid, rien là d'étonnant: je chauffe ignoblement du coco depuis les 3 derniers jours.  Le médecin à tête de rat qui saute Gâteau Vachon dans le placard à balais ne donne pas cher de ma peau.  C'est pourquoi, ce soir, après avoir balancé ma couche gonflée de pisse dans le corridor, et après m'être secoué sans résultat au-dessus de la photo de Gaétan B., je me suis emparé d'un de ces masques de cul que ma défunte voisine, madame Tourangeau, traînait toujours avec elle; je l'ai légèrement trafiqué, j'ai perforé 2 ouvertures dans le tissu et j'en ai fait quelque chose qui ressemble à un masque de Robin.

Sauf que je ne suis pas Robin, je suis Superverspépèreman, et ceci est le récit de mon totalement l'avoir-plein-le-cul.  N'en déplaise aux bobos gretathunbergés qui disposent d'une cave à fin personnelle avec dégustateur intégré et mange-marde barbichu, ce soir, je me fais plaisir.  Avant de crever, je vais mener à bien une mission communautaire de toute première importance.

Au CHSLD de la Villa des Moribonds, à cette heure avancée de la nuit, tout le monde ronfle, tout le monde pleure ou tout le monde fourre, c'est selon.  À la réflexion, il n'y a que Tête de Rat et Gâteau Vachon pour fourrer: les autres ronflent ou pleurent.  J'ai renoncé depuis longtemps à tenir un registre détaillé des activités de mes semblables, mais l'heure est à la vacherie préméditée, et c'est sans peine que je me suis emparé d'un sac à vidanges qui traînait sur le palier du 2e et que j'ai emprunté la sortie de secours, nu comme un crapet, mon masque sur le nez et mon sac à vidanges sur l'épaule, pour ensuite gagner à pas menus le boisé rabougri de la Villa.

Mon action terroriste ne peut se déployer que sur la rue Christophe-Colomb, récemment aménagée de manière à doubler l'espace de circulation réservé aux cyclistes et réduire d'autant l'espace de circulation réservé aux automobilistes.  C'est une idée de Valérie Plante afin de rendre la ville plus cool (ce sont ces mots).  Plante et ses lubies répugnantes, Plante qui voue aux automobilistes et aux aînés une haine sans pareille, Plante qui n'en a que pour les bobos gretathunbergés, les mange-marde barbichus et les abominations de cyclistes rutilants, Plante et ses ahuris de partisans qui n'hésiteraient pas une seule seconde à dynamiter une résidence pour personnes âgées s'ils avaient la certitude que ce dynamitage avait pour effet d'accroître, ne fût-ce que de quelques centimètres, l'espace de circulation réservé aux cyclistes et intensifier d'autant le rayonnement de leur abomination homicide (heu, où est-ce que je veux en venir avec ça? ah oui, c'est ça), bref, le jovialisme cyclo-écologique sera, cette nuit même, la cible d'un attentat terroriste inédit, sans doute inutile, mais qui survivra aux pertes cognitives de la gauche vertueuse.

Superverspépèreman (c'est moi) se glisse donc dans la nuit, tout nu, avec son masque sur le nez et son horreur de sac de vidanges sur l'épaule.  Parvenu à l'avorton de sous-bois qui jouxte la rue de P..., il se couche sur le ventre et crapahute dans les brindilles, les éclats de condoms souillés et les cartes de l'âge d'or grâce auxquelles les résidents de la Villa coupent leur poudre à bébé Johnson avant de se l'envoyer via les conduits de leur tente à oxygène.

Il progresse sur le ventre, mais du fait que sa queue frotte contre le sol, il essaie de ne pas penser aux boules lunaires de madame Tourangeau, sa voisine défunte qui lui a refilé la Covid, parce que s'il pense aux boules lunaires de madame Tourangeau, il va bander -- si seulement il avait jerké sur la photo de Gaétan B,, comme il se l'était proposé de prime abord, il n'en serait pas là, il n'aurait pas à endurer cette infamie érectile de penser (bien malgré lui) aux boules lunaires de madame Tourangeau et de bander (bien malgré lui) dans la terre détrempée du sous-bois, de creuser ainsi un sillon suspect et de laisser des indices de son itinéraire terroriste.

Superverspépèreman (c'est moi) crapahute de la sorte dans le sous-bois jusqu'à la lisière de l'ancienne piste cyclable de l'avenue Christophe-Colomb -- ancienne piste cyclable qui est redoublée, précisons-le, par la nouvelle piste cyclable de façon parfaitement saugrenue et en pure perte, dans l'unique but de réduire l'espace de circulation réservé aux automobilistes et d'augmenter d'un cran le coefficient de faisage chier des citoyens qui conservent encore toutes leurs facultés mentales et qui ont à coeur de ne pas risquer la vie de leurs semblables en enfourchant une horreur de Bixi et en roulant dans le mépris le plus complet de la signalisation routière, des piétons, des automobilistes, des personnes du 3e âge, bref, dans le mépris le plus complet de toute forme de vie qui ne circule pas à vélo.

(Bon, je suis rendu où avec tout ça?  Ah oui.  Donc Superverspépèreman progresse à bandaison réduite dans le sous-bois jusqu'à la lisière de l'ancienne piste cyclable à cette heure maudite des petites heures du matin, et là, camouflage, silence, immobilité, ma yeule.)

Le vieux Superterroriste (c'est moi) ne bouge plus.  Dans sa tête, il tente de chasser la représentation des boules lunaires de madame Tourangeau, mais s'il y parvient (non sans d'extrêmes complications orthopédiques), c'est pour switcher aussitôt à la représentation des boules jupitériennes de madame Lussier  (crevée elle aussi des suites de la Covid).  La situation est désespérée, d'autant qu'au poids du sac de vidanges qu'il porte sur ses épaules, s'ajoute à présent le poids d'une cohorte de ratons (Procyon Lotor), oui, 4 ou 5 ratons de bonne famille, sans doute magnétisés par le fumet des couches qui suintent la mort, et qui sont désormais bien accrochés au sac et tentent par tous les moyens d'en perforer la pellicule afin de plonger leur museau facétieux dans le menoum.

À présent, pareils aux orthos de banlieue dans le parking d'un Costco, les procyons affluent, flairant de loin l'aubaine et le jutron délicat qui glousse dans les profondeurs du sac, oui, les procyons se massent, se pressent, se marchent dessus afin d'accéder aux perforations de premier choix, mais qu'à cela ne tienne, Superverspépèreman retient son souffle et guette intensément le passage du premier cycliste.

Il n'a pas à patienter très longtemps.  

Il le voit déjà poindre à l'horizon, beau et fendant, tel qu'il l'avait fantasmé dans le mouroir de la Villa, le genre à couper tout ce qui se passe de pédales pour exister; il s'amène à vitesse maximale, penché sur sa mécanique étincelante comme un charognard de troisième tour, oh oui, c'est l'Idée platonicienne du Cycliste tel qu'en lui-même, le dieu du bécyk aux gants de jade et aux chevilles de cristal, celui-là même derrière lequel la nuit ne peut que se refermer dans un soupir d'adolescente outremontoise dont le portable vient de crisser le camp dans la bol.

(Bon, c'est quand même un peu gossant le narratif à la 3e personne, alors je passe en première et je conclus.) 

Faque là (c'est moi qui parle, entends-tu), j'avise l'abomination de cycliste qui s'amène dans ma direction, et je calcule mon affaire -- vélocité de l'abruti resplendissant, force des vents contraires, mon poids relatif, le sien absolu, le carré de l'hypoténuse des procyons accrochés au sac (je dois calculer tout ça à la première personne, entends-tu), puis je me relève, je m'extirpe péniblement des ténèbres encochonnées du sous-bois et je fais swigner le sac pissant de jutron et de procyons trois, quatre, cinq fois au-dessus de ma tête, et dès que Supercyclisteman arrive à mon niveau, j'y câlisse toute ma shit dans le portrait.

Le bécyk continue tout seul, le casque fait bing-belang-bong (disons, pik-pelak-pok pour être plus précis).  Le Bien triomphe encore une fois.  Plus rien à ajouter.   

Prochain épisode: Superverspépèreman contre Vidéotronman.  Nuff said.