dimanche 29 avril 2018

Complémentaire 27 (2)

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Quand j'ai vu ma blonde sortir de la salle de bain et s'amener dans le salon en bobettes, j'ai tout de suite pressenti une catastrophe; d'instinct, j'ai flairé ce genre d'atrocité affective qui se produit le plus souvent le matin, quand la rose qui s'éploie se prend le pétale dans le protège-dessous ou que la cafetière performe un blasphème électronique avant de dégorger un liquide fadasse par l'outre-trou.

J'étais à trois coups de hache de déboulonner Étripé le Malodorant, mais je me retrouvais à court de potions de vie et je ne pouvais déjà plus me concentrer, ma blonde était plantée dans le salon, dans l'angle mort de l'amour pour ainsi dire, les épaules affaissées, réanimée de travers au bout d'une nuit que je devinais fort courte, plutôt agitée et intrinsèquement dévastée par la ruée onirique d'un troupeau de licornes carnivores.

Elle a grogné quelque chose, puis elle m'a demandé si j'avais affaire à sortir aujourd'hui, alors j'ai mis le jeu sur pause et elle a bien vu que je respirais déjà un peu plus difficilement.  Au bout d'un long moment, je lui ai dit que non je n'avais pas affaire à sortir, que le mieux était de ne jamais sortir de toute façon puisque sortir, c'était fatalement aller à la rencontre de semblables tous plus affreux les uns que les autres (je niaise), c'était s'exposer sans rémission possible à des types et prototypes en tout point comparables à ce petit gros croisé l'autre jour dans le parking des Halles d'Anjou (je niaise pas), et qui m'avait interpellé du volant de sa voiture parce que j'avais jeté par terre un bâtonnet de bois, le susdit petit gros s'était sur le champ improvisé chevalier de la vertu écocitoyenne, et par la vitre abaissée de sa Lexus dont le moteur roulait à fond de train, s'était mis à me sermonner sur les torts irréversibles que je causais à l'environnement par ce geste, d'une obscénité écologique absolue, qui consistait à crisser par terre un bâtonnet de bois que j'avais d'ailleurs moins crissé par terre que secoué de mes doigts encore tout collants de tire sur la neige, de telle sorte que le plaisir très réel que j'avais éprouvé à sucer la tire de mon bâtonnet (tout ce qu'il y avait de plus biodégradable, je le précise) avait été irréversiblement gâché par la rencontre de cet ahuri petit gros qui faisait ronfler le moteur de son abomination de Lexus en m'administrant une leçon d'écocitoyenneté d'une imbécillité effarante, que c'était justement le genre d'horreurs auxquelles on s'exposait de nos jours dès qu'on mettait le pied dehors, et que dans ces conditions il valait mieux, tout compte fait, ne jamais sortir, mais que si ma blonde exigeait néanmoins que je sorte en dépit de toutes les raisons que j'avais de demeurer ici, de rester plogué sur Diablo 3 et de mourir pour la sixième fois en tentant de fracasser Fermenté le Saint-Cibole, eh bien, soit, je sortirais puisque je n'avais rien à refuser à ma blonde en bobettes avec les boules à l'air et le lit étampé dans la face.

Elle a encore grogné quelque chose, puis elle m'a dit qu'il y avait deux billets de 6/49 qui traînaient sur le micro-ondes et qu'elle souhaitait que je me rende au dépanneur afin de les faire vérifier, elle formulait le souhait que je fasse ça au plus maudit compte tenu que c'était la troisième fois qu'elle me le demandait cette semaine, sans résultat.  Elle a ajouté qu'elle voulait en avoir le coeur net, elle ne supportait plus l'idée que nous puissions laisser traîner des billets qui étaient peut-être gagnants, aussi me demandait-elle de faire un effort et de nous imaginer multimillionnaires: elle exigeait d'abord que je la voie, elle, dans un resort de la République dominicaine, en bobettes et les boules à ciel ouvert pour toujours, puis elle exigeait que je me voie, moi, en train de sucer tous les bâtonnets de tire désirés jusqu'à la fin de mes jours, pulvérisant des hordes de petits gros ahuris qui déferlaient à l'infini de la noirceur des cryptes.  Elle y tenait salement, fin de la discussion.

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samedi 28 avril 2018

Complémentaire 27 (conte pour enfants)

1.  LE BILLET


Il était une fois et c'était pas très compliqué.

En fait, il était une fois aux alentours de 6h15 du matin, je pompais l'huile en silence dans le salon et j'étais plogué sur Diablo 3, pieds sur le pouf, en train de décâlisser Condamné le Violent.

J'avais travaillé fort pour élever ma moniale au niveau 73 du Parangon, et comme je jouais en mode Tourment, ça me prenait au bas mot une dizaine de minutes pour achever les hommes-chèvres auréolés de lumière jaune qui pouvaient, en principe, surgir de n'importe quel trou.  Qu'à cela ne tienne, je persévérais dans la mise en pièces, je m'improvisais missionnaire d'une oeuvre de destruction clinique, confiant que tout au bout de ce jeu de patience ergonomique -- qui n'était rien d'autre, au fond, qu'un exercice de frappe compulsive coordonnée à la névralgie de mon pouce droit --, je pouvais compter sur la découverte d'objets rares et de pièces d'équipement surdimensionnées qui m'emplissaient, à ma plus grande surprise, d'une joie comparable à celle qu'on éprouve quand on démontre le théorème de Fermat ou qu'on fracasse le record mondial de poissons rouges avalés en 52 secondes (je niaise).

Ma blonde me dit souvent qu'il ne suffit pas de se fixer des objectifs dans la vie, encore faut-il les visualiser.  Or au stade existentiel où je me trouvais, l'objectif par excellence était d'épuiser toutes les possibilités de ce jeu addictif et on ne peut plus abrutissant (je niaise pas).

Parlant de ma blonde, elle venait tout juste de se lever.  Je l'avais entendue péter dans la salle de bains.  Ce détail n'est pas superflu: au cas où vous ne l'auriez pas encore remarqué, l'amour, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, mais ce n'est pas non plus regarder ensemble dans la même direction (comme disait l'autre décadent).  Non, l'amour, c'est de péter calmement en présence du partenaire sans chercher à mettre ça sur le dos du chien.

(Question de nous éviter tout de suite d'encombrantes formalités, je vais vous tutoyer.  Lecteur(e), je vais te dire «tu» exactement comme si tu étais le mur de mes lamentations narratives.  J'écris «lecteur(e)», mais cette manie graphique est gossante.  Je vais écrire plutôt «lecteure», comme dans Hannibal Lecteure, je trouve ça plus seyant que «lecteur» (tellement dix-neuvième...) ou «lectrice» (tellement Elle Québec...), ou «liseuse» (tellement comme si je fournissais le câble de chargement...).  Cela dit -- lecteure --, ne va pas penser que l'ajout du «e» muet équivaut à une réaction à l'air du temps et aux débats qui font rage autour de l'écriture dégenrée  -- «excusez-moi, je vous dégenre?» -- non, rien de tel, je le précise au cas où tu te nommerais Mazarine ou Louis-Hubert et que dans ton enthousiasme dégueu pour les salons de thé de la rue Bernard ou les shishas lounge de la rue Saint-Denis, tu cherchais à tirer cet évangile en trois exemplaires dans les presses de ta névrose.)

((Lecteure, ne t'y trompe pas: tu ne seras ni mon semblable ni mon frère, plutôt ma pute(e), et si la situation te plaît au point de ne plus te pouvoir, console-toi en te rappelant que les succursales Renaud-Bray sont remplies de pyramides édifiées à partir de tous les nouveaux romans d'Alexandre Jardin.))  (((Je niaise.)))

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