jeudi 14 août 2014

L'homme qui se respecte quitte la vie quand il veut; les braves gens attendent tous, comme au bistrot, qu'on les mette à la porte.

Ladislav Klima, TRAITÉS ET DIKTATS, La Différence, p. 175.







mercredi 6 août 2014

Pour Blanchot, dans la nuit et dans le jour habite l'autre nuit, qui n'est ni leur intermédiaire, ni leur synthèse.
(F. Collin, Maurice Blanchot et la question de l'écriture, Gallimard, p. 205)

Mais alors pourquoi cette neutralité reçoit-elle la qualification d'autre nuit?  Pourquoi ne pas la qualifier d'autre jour?  Ou d'autre.....  ?

Le neutre ici demeure sous-déterminé par le concept de nuit.  Reste à comprendre si cette sous-détermination est nécessaire, inévitable, et si c'est le cas, en quoi cela compromet la neutralité du neutre.

(Il est une noirceur qui tire le neutre davantage en direction de la nuit que du jour.)

lundi 4 août 2014

Revenants. Notes pour une théologie esthétique

Je ne connais pas de «classiques».  Catégorie suspecte, enfoncée dans le collectif et plutôt désincarnée.  En revanche, je connais des spectres (rien de plus incarné qu’un revenant car c’est à son passage que la chair soudain se révèle à elle-même en frissonnant).

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Qu’est-ce qu’un classique?  En supposant que la question ait un sens, elle ne me semble pas pouvoir se poser sur un plan qui évacue la violence de la singularisation.  Classique est un circuit de sensations usinées jusqu'au murmure, déclinées sans retour, généalogiquement épuisées jusqu’au point où la lumière procède du spectre plutôt que de le précéder.  Et qui ouvre d’étranges possibilités d’accompagnement.

(Que signifie la rencontre, l’introduction immédiate et non préméditée dans un circuit de sensations rimbaldien, sadien ou célinien?)

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Le revenant est sans cesse de retour.  Plus précisément, il est effraction compulsive de l’autre dans le même, l'altérité qui suinte par tous les pores de l'insularité.

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Revenant – mais d’où d’abord et à quel lieu ensuite?  Survenant, le revenant surprend, affole, inquiète ou tétanise.  Mais la surprise n’est peut-être pas intégrale car le revenant est aussi le revenu.  Revenu de quoi?  De tout et de ce qui excède la carcasse écrasée de la lumière sur la voie d'accotement du tout.

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Le revenant n’est pas, il passe, il file dans l’entre-temps.  Passant considérable, il ne hante pas à proprement parler, ou alors sa hantise est du même ordre que celle d’une question qui passe et repasse par elle-même, inlassablement, et se singularise en sensation à la sortie du métro ou en prenant le vent du soir, ici ou là, allez savoir.

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La sensation est la prémisse d’une exposition extrême au passif, au passage, donc.  Elle est l’aggravation d’une vulnérabilité à l’autre, j’entends : à cet autre, plus altéré que tout un, et qui installe sa hantise dans le même.

(L’autre : l’altéré qui ne désaltère pas.  À peu près au sens où on dirait de quelqu’un qu’il ne décolère pas.)

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Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.

Rimbaud ne dit pas : il me sera permis ou il me sera possible.

Loisible seulement.  Loisible radicalement.

Aveu de spectralité post-infernale.

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Exemples de revenants chez lesquels on enregistre un indice de spectralité très élevé : Aquin, Nietzsche, Artaud, Bataille.  Oui, des classiques – mais de quelle classe au juste?  Je dirais : de la classe communicative.  Avec eux, le message passe parce qu'il passe en même temps que le messager.

Le messager est le message.

(Le médium n’indique que le mode de cuisson du steak que je vais engouffrer ce soir.)

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Le message est le passager.  

Le passage est le messager.

On ne convoque pas les revenants – le revenant n’est pas un «esprit» -- on les attend.  Mais comment les attendre si cette attente ne doit pas se muer en une convocation oblique, une normalisation forcée du passage?

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On n’est pas ici dans l’élément du surnaturel, mais du sursensuel.

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J’ai sans doute parlé un peu vite de théologie esthétique.  Les revenants ne sont pas des dieux.  Mais je ne veux pas non plus commencer à mobiliser des termes tels que «fantomatologie», «spectrologie», «nostologie» ou que sais-je encore.  L’important est d’insister sur le fait qu’on n’a pas affaire ici à des esprits, mais à des présences, plus exactement à des effets de présence qui se mesurent moins à leur spiritualité qu’à leur intensité passagère, leur puissance itinérante.

(On a beaucoup parlé de père, de mère en littérature.  De grand-père et de grand-mère aussi.  Et si on s’occupait un peu des oncles maintenant?  Après le tremblement du sacré, le frisson du fou rire.)

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La rencontre du revenant est singulière : la généralité du concept lui sied mal.  L’expérience appelle une conceptualité étrécie jusqu’à l’egocept (le concept qui accueille l’une-fois-mille-fois de la rencontre dans le feu de l’instant).

Retournement du concept en incept : il n’est plus question de saisie, mais de hantise.  La conscience n’est plus conscience de…  mais sensation de présence en…

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La spectralité est un effet de présence qui se noue au sein d’un circuit de sensations éprouvées comme en passant, dans l’entre-deux, entre chien et loup.  Là où la singularité ne se démêle plus de la solitude et de l’éclairage qu’elle reçoit en fonction du type de revenance insufflée.

Classiques, oui.  Mais justement, classons d’abord couleurs et couloirs empruntés par la solitude.

La solitude rouge d’Aquin -- rencontrée dans un hôtel.

La solitude orange de Rimbaud -- éprouvée dans une gare.

La noire solitude de Poe -- sur un chemin de terre.

La solitude mauve de Lautréamont -- endurée en terrain vague.

Et que tout soit dit, mais en passant.