mardi 28 décembre 2021

Journal d'une seule nuit

Inutile de soupeser le commencement, il s'agit d'une entrée à sortie intégrée, l'ameublement lettré d'une seule veille.  Surtout pas de poésie et encore moins de philosophie, même s'il est vrai qu'en fumant sur la terrasse, le remue-ménage de la ville -- sa fuite de robinet mal refermé -- induit une légère nausée.

Je me traîne depuis des mois entre des éclats de conscience dont la durée excède rarement quelques minutes.  Je sais qu'il s'agit du temps détraqué de l'insomnie: la vision se perd, se ressaisit, se perd encore à la périphérie d'une infinité de petites noirceurs mille fois remises au lendemain.

Mais ce lendemain, saisi dans l'instant, a la même résonance qu'un ricanement égaré en de lointains couloirs.  Voilà.

Mes résolutions pour 2022: rester vivant, ne plus écrire, ne pas dégueuler avant d'atteindre la bol et sourire aux conseillers pédagogiques.

(Oh et puisqu'on y est, ne pas me juger trop sévèrement quand je mesure les heures de sommeil perdu entre deux séances de spiritisme sans objet -- l'existence est un malentendu ajusté au ressac de la matière matinale, ainsi que ma joie demeure, que la cafetière crépite et que la nuit reflue entre les broches de la Vierge Marie.)

28 décembre, 3h47



  


   

samedi 4 décembre 2021

De la littérature comme joke ratée



Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l'auteur n'a pas été contraint?  

Bataille

  

Il y a cette idée étrange qui me trotte dans la tête depuis un certain temps, un vertige théorique que je n'ai confié qu'à très peu de gens -- peut-être parce que, de nos jours surtout, c'est le genre de chose qu'on préfère garder pour soi, que le langage tout entier est en train de devenir une chose qu'il vaut mieux garder pour soi --, cette idée étrange, dis-je, que tout poème est l'équivalent d'une joke qui ne va pas au bout de son rire.

La formulation est approximative, mais s'il est vrai que la poésie vient en premier, que tous les genres littéraires ne sont que des ramifications d'un Poème originaire, la question est la suivante: quelle est la joke fondatrice, quelle histoire pissante pouvait-elle bien raconter pour qu'il fallut tout l'esprit de sérieux dont la poésie est capable afin de neutraliser cette déflagration nerveuse et en contenir la puissance contaminante?

*

Le Chant premier est une chanson à répondre dans laquelle les mortels ne font que reprendre le refrain vulgaire que les dieux martèlent en se pissant dessus.  Le Chant premier a plus d'affinités avec un épisode de Soirée Canadienne qu'avec le boudin gros fâché d'Achille aux portes de Troie.  (Lautréamont, me semble-t-il, est un des rares à l'avoir compris.)

*  

Même le Poème de Parménide, si originaire soit-il, n'a de sens que si on le resitue (vulgairement) sur le plan d'une séance de préparation au mariage, une boutade érotique sur le thème de la nuit de noces.  Car que dit la Déesse en somme?  Ceci: qu'il y a deux voies, celle qui passe par en avant (féconde) et celle qui passe par en arrière (stérile).  C'est à peu près ce que disait Sade, mais dans un style moins allusif.  

Le sacré n'est pas le contraire du profane.  Le sacré, c'est le profane qui flanche jusqu'à l'asphyxie.  C'est le vulgaire qui retient un rire gras et flatulent jusqu'à ce que le cadavre passe à travers le cercueil et déboule infiniment dans les escaliers de la cathédrale.

Sans blague, n'avez-vous jamais eu l'impression que même les meilleurs poèmes ont une allure de joke inachevée, vaguement ratée?  Par exemple, que la poétesse éco-compatissante qui s'installe derrière le micro pour nous lire ses vers sur un ton de peep show est une stand-up comic qui ne s'avoue pas, qui se retient d'avouer l'inavouable?  Sans blague?

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(Oui, cette impression taraudante que tout poème est l'équivalent d'une joke qui ne va pas au bout de son rire, qui s'interrompt avant que le rire ne le ruine de l'intérieur.  C'est une position théoriquement indéfendable, bien entendu -- on imagine mal Marie Uguay en train de se taper sur les cuisses, quoique... -- mais en même temps, l'esprit de sérieux n'est-il pas l'ennemi numéro 1 de tout écrivain, surtout s'il est poète?  Je veux dire: à première vue, rien de plus étranger que la poésie au monde de la déflagration nerveuse, mais en contrepartie, une poésie qui se confondrait sans reste avec l'esprit de sérieux, cette poésie-là serait -- je le maintiens -- ratée par essence.  Baudelaire a toujours évité ce piège.  Pourquoi?  Un ami m'a dit un jour qu'on ne repérait aucune faute de goût chez Baudelaire.  D'accord, mais pourquoi?  Parce que chacun de ses textes est toujours en prise directe sur la joke clandestine dont il est l'épiphanie.  Ok ma yeule.) 

 *

Élargissons la perspective et osons la question qui ne nous vaudra pas de nouveaux amis: pourquoi la plupart des romans publiés ces derniers temps sont-ils aussi plates?  Qu'est-ce qui peut bien expliquer cette descente de névrose généralisée qu'est devenue la littérature, cette impression pourrie que la plupart des auteurs sont devenus de petits monsieurs et de petites madames bien mis, tout droit sortis des HEC avec leur veston, leur tailleur et leur mélange de petites pilules protofascistes -- sans oublier cette manière un peu raclure de la poser à la minorité qui fut d'abord raciste envers soi-même, de jouer si bien la pute quand on dit qu'on a hâte de retrouver ses lecteurs au Salon du Livre, oui, cette impression déconcertante qu'ils sont tous là à essayer de nous vendre leurs sales petites trajectoires, leurs intrigues aussi captivantes qu'un mur mitoyen, leurs traumatismes d'enfant choyé, leurs scènes primitives, fadasses et alambiquées, cette impression, en somme, qu'on a affaire à des gens qui jouent à être écrivain sans jamais avoir été contraints à l'écriture quoi qu'ils en disent. 

Qu'a-t-il bien pu se passer pour que la littérature se retourne contre elle-même, se dissocie aussi lâchement de sa puissance d'évocation, se dégonfle jusqu'à se confondre avec un ramassis de colporteurs terrorisés, prodigieusement ennuyeux et moralement irréprochables (haha).  Ok ma yeule.

Ou pas.

*

De nos jours, on ne rit plus (hahaha), on ricane (neinheinhein).

Ça publie de mauvais romans et ça ricane pitoyablement entre deux plats de pinottes lors des lancements.

Reconnecter tout ça à la Joke d'origine ne sera pas une mince affaire, réconcilier le sens du jeu avec le sens du tragique n'ira pas de soi.

Non, cibole, y en aura pas de facile.