dimanche 5 septembre 2021

Approche existentielle de la pandémie

Ce que je cherche à exprimer n'a peut-être pas beaucoup de sens (trop de choses ont glissé au néant depuis les deux dernières années, se sont spectralisées dans les coins).  

Ce qui gêne l'expression ici, je m'en rends bien compte, c'est la fracture entre l'éthique et l'esthétique.  Je voudrais ne pas avoir à soulever la question de savoir de quel droit je puis achever la phrase que je couche en ce moment si je l'achève en disant que jamais le monde (la ville, les routes, les espaces déplacés de nuit par errance estivale) ne m'a semblé aussi profond, aussi réel que depuis le début de la pandémie, alors que, soudain, le primate civilisé se raréfiait au coin des rues.

Le remue-ménage du Collectif a toujours atténué la portée tragique de certaines évidences; la pandémie, en économisant les rapports corporels, en distribuant le visible bloc par bloc, a libéré quelque chose que je n'aurais jamais cru possible, soit la révélation brutale de ceci que nous n'avons rien à voir avec ce monde, et que c'est précisément dans ce ne rien à voir avec que réside la chance la plus rare et la plus déchirante.

Pendant que des vieux crevaient par milliers dans les manoirs abandonnés, ma propre impermanence m'a sauté à la figure; bien entendu, je savais depuis toujours que je n'étais pas invulnérable, que je pouvais disparaître n'importe quand, mais voici que j'étais enivré de le savoir; je me rappelle de la joie volcanique, parfaitement égoiste, qui me montait au coeur en même temps que la certitude sensible de ma mortalité, alors que je brûlais la troisième voie de l'autoroute 15, le soir, pour aller je ne sais où par les solitudes immensifiées.

Le ciel fixe, bêtement étoilé.

Et au hasard des stations, tout visage avait encore la ferveur d'une apparition, la moindre rencontre aspirait à une dimension mythique: le sous-titrage du Collectif était aboli, chaque corps devait parler sa propre langue, chaque geste devait se défaire en un baiser de secours ou un adieu d'occasion.

Et je saluais la violence des néons quand je poussais la porte d'un dépanneur avant minuit, la terrasse lunaire d'un Tim Hortons déserté, où je m'attablais et laissais le café fumer entre mes mains posées à plat sur la table, juste pour le plaisir de savoir que rien n'allait se produire précisément parce que tout pouvait arriver.

Le monde était à crier et pourtant jamais, jamais l'angoisse n'est venue.

Il y a même de ces soirs où j'aurais voulu écrire un court roman qui se serait intitulé La Joie.






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