vendredi 5 décembre 2014

Tableau de bord (parafiction 6.1)


(...)

--  VOUS ENTENDEZ, BLODEUR...  CE N'EST PAS MOI QUI LE DIS... AU FAIT, VOUS ALLEZ DEMEURER POUR LE SPECTACLE?  NOUS ATTENDONS TOUJOURS BIDON-BIDON QUI VA NOUS LIRE UN EXTRAIT DE SON ROMAN À PARAÎTRE EN AVRIL 2033, ÇA S'INTITULE pAtAtE 47, UNE VÉRITABLE BOMBE, BLODEUR, TOUT LE MONDE EN PARLE, TOUT LE MONDE L'A LUE, TOUT LE QUÉBEC LITTÉRAIRE SE L'EST PRIS EN PLEINE GUEULE AVANT MÊME QUE SON AUTEUR NE L'AIT CONÇUE.

Blodeur morve légèrement sur la table jonchée de bouteilles de Red Bull, si bien qu'on doit immobiliser sa tête à la dérive entre deux dictionnaires illustrés.

Un barbu à lunettes surgit soudain de sous la table voisine et rampe jusqu'à l'éditeur dont il se met à baiser les orteils.
--  QUOI ENCORE?
--  Majesté, dit le barbu, je...  on m'a délégué...
--  NE VOIS-TU PAS QUE JE SUIS OCCUPÉ?
--  Je le vois bien, votre Incandescence, et je ne veux pas vous importuner, je ne le voudrais pour rien au monde, mais l'affaire est... délicate, oui, délicate, et de la plus haute importance...

De bisou en bisou, les fils de sa barbe s'entortillent toujours davantage autour des orteils ensanglantées de l'éditeur.
--  TU ME CHATOUILLES.
--  Ne m'en veuillez pas, votre Quérulence, mais je dois vous aviser d'une affaire, oh, un détail, rien de plus, mais qui vaut de vous être signalé sans délai du seul fait d'avoir, semble-t-il, échappé à votre panoptisme... un détail, sans doute, mais qui pourrait entraîner les plus fâcheuses conséquences...

L'éditeur lève la jambe et fait un pas en retrait afin de se soustraire à l'adoration du barbu.

--  RIEN NE M'ÉCHAPPE, DUDE, ALORS SURVEILLE TA LANGUE SI TU NE VEUX PAS FINIR COMME LE RELATIONNISTE.
--  Oh, je la surveille, je la surveille, croyez-le bien, surtout quand je la fourre entre vos petons boudinés couleur lie de vin...  Personne ne surveille sa langue mieux que moi, et mes paroles tout aussi bien, je mesure chacune d'entre elles et je vous assure qu'elles ne font jamais plus de quelques millimètres...
--  VAS-TU ME DIRE ENFIN CE QUE TU VEUX?

Tous les auteurs se tenaient accroupis derrière les tables, redoutant une déflagration, et seules quelques rares têtes se risquaient encore entre les rayonnages.

--  Votre Effervescence, les auteurs ici présents m'ont délégué auprès de vous afin... remarquez, ce n'est peut-être rien, mais...  eh bien, tous ont remarqué que depuis vos huit dernières répliques, vous... vous vous exprimez en majuscules...
--  QUOI?  JE PARLE TROP FORT, C'EST ÇA?
--  Non, non, votre Ventripotence, et c'est bien là le problème: même quand vous chuchotez, même quand vous vous penchez sur Monsieur Blodeur ou Madame Villa-Torta pour leur confier quelque secret à l'oreille, vous le faites en majuscules... le volume de votre voix n'y est pour rien...  vous... vous comprenez?

Cette fois, c'en est trop: l'éditeur saisit le barbu au collet et le coince contre le mur; là-bas, dans le fond sans fond de la librairie, quelques auteurs se sont mis à sangloter, et les échanges de dédicaces s'accélèrent dangereusement.

--  CRISSE ES-TU EN TRAIN DE ME DIRE QUE JE SUIS UN FUCKING PERSONNAGE DE FICTION?
--  Votre Autrement qu'Être ou au-delà de l'Essence, je...  voyez vous-même... essayez seulement de vous exprimer en caractères standards....

Sonné, l'éditeur abandonne le barbu.  Il va et vient erratiquement entre les tables, se tâte la mâchoire, introduit deux doigts dans sa bouche comme s'il se contraignait à vomir.  Villa-Torta a fait passer sa robe par-dessus sa tête et tire la langue en testant l'élasticité de ses poils pubiens.

--  OSTIE TU AS RAISON... BBBBB...  OOOOOO...  PPPPP...  UN PETIT MALIN M'A MIS SUR «CAPS LOCK», CE QUI EST CONTRAIRE AUX POLITIQUES DE LA MAISON...  AUCUN DE NOS LIVRES NE COMPORTE DE RÉPLIQUE IMPRIMÉE EN CARACTÈRES MAJUSCULES...   DU CALME, TOUT LE MONDE, CE N'EST QU'UN ATTENTAT ESTHÉTIQUE, RIEN DE PLUS... LE CRÉTIN QUI M'A FAIT CE COUP SE TROUVE SANS DOUTE TRÈS DRÔLE...  KKKK...  GGGG...  TANT PIS, CRISSE, IGNORONS-LE, IL FINIRA BIEN PAR SE LASSER DE LUI-MÊME QUAND IL VERRA QUE SES PITRERIES SONT SANS EFFET.  LES ÉDITIONS DES TROIS TITES ÉTOILES NE RÉPONDRONT PAS À UNE PROVOCATION AUSSI GROSSIÈRE.

Je me tourne vers Torus qui baille en feuilletant une plaquette intitulée CrApOuÈtE 56:
--  C'est parti?
--  Meuh non, qu'est-ce tu crois?  La révolution ne sera pas télévisée...
--  C'est-à-dire?
--  Elle ne prendra pas le train de Josélito Michaud, alors calmons-nous...
--  Mais avoue que...
--  Simple facétie du Joe.  Quand tu auras appris à mieux le connaître, tu verras que le Joe est très facétieux.  Facétie par ci, facétie par là, ecce homo...  Mais je te concède que c'est bon signe, les choses se mettent en branle...

Oui, les choses se mettaient en branle. Je le voyais à la raideur qui s'emparait progressivement de l'extrémité de mes doigts de pied.  Autour de nous, les 272 échangeaient leurs plaquettes à plein régime, se dédicaçaient mutuellement leur écart dernier cri dans le plus grand désordre.  La Villa-Torta se ravageait de plus en plus: les mains enfoncées jusqu'aux jointures dans une vulve noire et sinistrée, son extase me semblait obéir aux lois d'une démangeaison croissante, virtuellement généralisable.

--  AH  BIDON-BIDON!  ENFIN!

Un petit gros vient de pénétrer avec fracas à l'intérieur de la librairie: il est accompagné d'une horde de journalistes qui lui pendent aux basques, le satellisent de toutes parts et font crépiter des éclairs de flash dans toutes les directions.

--  Boudin-Boudin, vieux forban, désolé de mon retard...  si tant est qu'on puisse être en retard à un lancement, nsspaa?  Mais ces messieurs ne me lâchent plus...  Et puis, j'avais un statut Facebook sur le feu...  Une autre de mes trouvailles, devine?
--  NE ME FAIS PAS LANGUIR.
--  Hé bien (il baisse la voix),  tu verras dès que tu te logueras, mais j'ai statué ceci : Reebok-Desjardins-Nike-McDonalds-Reebok-Desjardins-Nike-McDonalds-Reebok...  Que suis-je?  Réponse: une pratique des joueurs du Canadien.
--  SACRÉ BIDON!  TU ES IMPAYABLE.  MAIS OÙ VAS-TU CHERCHER TOUT ÇA?  N'EST-CE PAS QU'IL EST IMPAYABLE, BANDE DE TAPE-CLAVIER?  POURQUOI N'ÊTES-VOUS PAS TOUS AUSSI GÉNIAUX QUE BIDON-BIDON, HEIN?

Complètement nue, Villa-Torta se jette en hurlant aux pieds du petit gros et lui enlace la jambe.  La dénudation ne lui suffit plus.
--  Bidon-Bidon, grogne-t-elle, fourre-moi ou je te jure que je m'arrache la tête.

(...)

  





  

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