Dans ces conditions, le
sectionnement avait dédoublé l’être naturel.
Alors chaque moitié, soupirant après sa moitié, la rejoignait;
s’empoignant à bras le corps, l’une à l’autre enlacées, convoitant de ne faire
qu’un même être, elles finissaient par succomber à l’inanition et, d’une
manière générale, à l’incapacité d’agir, parce qu’elles ne voulaient rien faire
l’une sans l’autre.
Platon, Le Banquet, 191 a-b
1
Pas
facile de garder les deux mains sur le volant. La peau d’Aicha est glacée
et le peu d'air chaud que j'ai réussi à faire circuler dans la voiture depuis
que nous avons quitté la ville n'est pas parvenu à la réchauffer, pas plus
d'ailleurs que la couverture de crin dont je l'ai enveloppée de peine et de
misère, alors que nous crapahutions à huit pattes en direction du garage.
Aicha
dort à présent. Elle m'écrase de tout le poids de son grand corps nu, et
je dois constamment rabattre vers l’arrière ses longs cheveux noirs qui
brouillent à l'occasion ma vision de la route. Il y a quelques minutes,
j'ai à nouveau tenté de l'arracher à moi, pensant que la diffusion de la
chaleur allait peut-être favoriser le décollement de nos épidermes, mais j'ai
tout de suite senti la friction de mon sexe coincé entre ses muqueuses et la
brûlure de nos poils pubiens que la glu a fait se fusionner.
Je
ne veux pas risquer de la réveiller à nouveau. Elle a suffisamment hurlé
depuis le départ et j'ai à présent besoin de toute ma concentration si je ne
veux pas finir dans le boisé : la route est étroite, cahoteuse, et ma
jambe gauche est devenue presque insensible à force de porter le poids de mon
malheureux petit amour.
Les chances que je sorte vivant de ce
cauchemar? Difficile à dire. De l’ordre de un sur cent -- un sur mille,
plus vraisemblablement. Pour Youssef, ma
mort est une formalité. Le sursis qu’il nous a accordé ne doit pas faire
illusion : à ses yeux, c’était uniquement un moyen de pimenter la chasse
et d’introduire entre notre fuite et mon exécution un espace de jeu qu’il
pourra investir le temps de rajuster sa cravate, de se curer les dents et de se
demander comment il disposera de ma viande une fois la besogne achevée.
Je
revois encore les caractères orientaux soufflés à la crème à barbe sur le
miroir lorsque nous avons repris conscience.
J’avais demandé à Aicha ce qu’ils signifiaient. Elle s’était mordue au sang avant de hurler :
JE VOUS DONNE UNE HEURE. JÉSUS ME SOURIT
À TRAVERS LE TROU DE TON ANUS.
Quelque
chose du genre.
2
Aicha m’avait pourtant prévenu de me
méfier de son oncle. À l’époque où ce
dernier habitait en Syrie et qu’il travaillait sous les ordres de Bachar
el-Assad, il avait déjà la réputation d’être une des plus épatantes machines à
tuer de tout le Proche-Orient. On ne le
voyait jamais venir, disait Aicha. Tu
pouvais être attablé à une terrasse en train de lire le journal, de siroter un
café, et quelques secondes après, tu te réduisais à trois ou quatre morceaux de
steak tartare massés autour de la bouche d’un égout. Et pour opérer la métamorphose, il n’avait
pas plus besoin de bazooka que de mitrailleuse.
Pas même de couteau. Il te
dépeçait à mains nues, il te déchirait et te retournait sens dessus dessous par
la seule force de ses bras.
Aicha était drôle quand elle
racontait ses histoires. La légende se
noircissait toujours un peu plus à chaque nouvelle version, et je me moquais en
lui pinçant le nez. Pour l’instant, c’est
à peu près tout ce qu’elle m’autorisait à faire : l’accompagner jusqu’au
métro Côte-des-Neiges à la fin des cours, jouer avec son bracelet et lui pincer
le nez à condition qu’il n’y ait personne autour.
- - C’est
pour ta protection.
- - Ma
protection. Quoi, le gros nounours me
casserait la gueule juste parce que je te demande de m’épouser?
- - Arrête. Non, il ne te casserait pas la gueule. Il te l’ouvrirait. Tu sauras que mon oncle Youssef ne casse
jamais rien Il ne tire sur rien, il ne
coupe rien. Il ouvre. Il pose ses mains sur toi, un peu comme s’il
allait t’embrasser, tu vois, et là il t’ouvre comme un sac de pop-corn. C’est comme ça qu’il faisait quand il était
là-bas.
- - Il
n’a pourtant pas l’air très méchant. Je
le verrais mieux en gérant de McDonald’s.
Elle me regardait en haussant les
sourcils. Et comme à chaque fois que je
banalisais ses histoires d’oncle alibabesque, elle concluait la leçon en m’administrant
une petite tape sur la joue.
- - Je
suis sérieuse. Arrête de dire que
j’exagère. Si seulement tu voyais la taille de ses mains…
Ses yeux vert émeraude étincelaient
d’une fureur théâtrale, et j’avais une fois de plus passé l’index sous les
anneaux flottants de son bracelet, sauf qu’à ce moment-là, la douceur qui caractérisait
d’ordinaire ce rituel avait mué en autre chose, elle avait pour ainsi dire basculé
de l’autre côté, et c’est alors que, pour
la première fois, j’avais risqué la disparition de ma main dans la nuit persane
de sa chevelure.
3
Le
jour va bientôt se lever et le réservoir d’essence est presque vide. Des gouttes de pluie verglaçante ont commencé
à météoriser la coupole du pare-brise, et je n’ai qu’une idée bien
approximative de l’endroit où nous nous trouvons -- et où nous achèverons
bientôt de nous égarer en profondeur, je le crains, si je ne parviens pas à
fixer mes pensées sur quelque chose de moins troublant que les seins glacés de
mon amour. Aicha est si lourde… Mais elle dort si profondément à présent que
j’hésite à esquisser le moindre geste; elle a tant pleuré, tant hurlé depuis
que nous avons quitté Montréal, alors qu’elle dorme un peu, je veux bien,
qu’elle persévère quelques minutes de plus en ce néant provisoire, l’horreur de
la situation l’en tirera bien assez vite.
Ma
jambe gauche est à peine sensible. J’ai
dû reporter sur elle tout le poids d’Aicha afin de pouvoir continuer à
manœuvrer du pied droit et libérer mon champ de vision. Mon amour ronfle légèrement et un filet de
bave tiède coule dans mon cou alors que le picotement de la grêle s’intensifie
sur le toit de la Lexus. La substance
gluante qui maintient nos bassins rivés l’un à l’autre est prodigieusement
tenace : seul un bain chaud pourrait favoriser la séparation de nos sexes
télescopés, mais nous sommes ici au milieu des bois, égarés sur le chemin de
terre d’une petite localité dont j’ai oublié le nom avant même de l’avoir
appris. Si par miracle je devais
apercevoir au loin l’enseigne d’un motel, d’une clinique ou d’un poste de
police, autant dire que je me serais endormi au volant…
Il
s’agit maintenant de se concentrer. Mais
sur quoi? La nuit tombe en même temps
qu’Aicha, et je ne parviens pas à me distraire du parfum de sa peau
caramélisée, du grain de sa chair que le froid affermit à une échelle
microérotique, comme si le plaisir était encore en train de l’électriser.
Concentre-toi, garde les yeux
ouverts, ne pense plus à ça.
La
couverture de crin a glissé de nouveau, j’ai dû la rabattre provisoirement sur
le siège du passager et jouer avec les volets de la chaufferette afin que le
courant d’air étende son mirage de chaleur sur le dos dénudé de mon amour. Une main sur le volant, l’autre sur son épaule,
ses cheveux dans mon visage et ma queue comprimée au fond de sa matrice… Rien au-delà, si ce n’est la certitude de la
mort lancée à nos trousses. Aicha geint
doucement, des bribes de farsi remontent du fond de son cauchemar, je perçois
les petits clapotements de sa langue contre son palais, et tout effort en vue
de me rétracter, le moindre déplacement ne contribuera qu’à resserrer d’un cran
l’étau de nos sexes saignants et à me faire durcir encore davantage. Que je bande, et je ne ferai rien que
précipiter l’éveil infini, le retour de ce qui est et l’annihilation de tout ce
qui se tient à portée de prophétie.
Concentre-toi sur la terreur.
4
Cet
après-midi-là, une fois revenus chez elle, je l’avais dévêtue assez
maladroitement alors qu’elle me saisissait à la gorge et tordait en geignant la
fourche de mon jeans. Puis elle avait
filé sans transition au deuxième où je l’avais suivie, perdue, puis entraperçue
au bout du couloir dans un éclair de cul et de dentelles. Je l’avais retrouvée dans sa chambre,
recroquevillée sur le lit, déficelant à toute vitesse les pétales de son sexe
qu’elle avait dissimulé sous un des coussinets de son soutien-gorge dégrafé. Très vite, je m’étais agenouillé au pied du
lit, puis je l’avais léchée, je l’avais léchée infiniment des cuisses jusqu’au
nombril. J’avais achevé le mouvement de
cette adoration monophonique en la pénétrant et la jouissance était venue presque
aussitôt -- cinglante, suffocante, pour ensuite se fondre à la déliquescence de
l’heure normale de l’est. J’étais sur le
point de me retirer.
- Tu as entendu ce bruit?
Non,
je n’avais rien entendu. C’est du moins
ce que j’allais lui répondre tout juste avant qu’elle ne crie et que je perde
connaissance.
5
J’ai
cru d’abord à une hallucination induite par le ruissellement des grêlons sur le
pare-brise : un fil de fumée noire disséminé sur un fond de ciel rosé. Spontanément, j’ai pris à gauche et j’ai
engagé la Lexus sur une sente qui s’étrécit de flaque en flaque et de cahot en
cahot pour s’achever au sommet d’un promontoire qui domine une cuve forestière,
une petite éclaircie au centre de laquelle je repère un chalet moisi et
quelques amas de matières rouillées, des modules épars et démantelés.
La
Lexus n’ira pas plus loin. Du moins, pas
sur ses quatre roues : la pente est trop abrupte, je ne peux pas amorcer
la descente sans risquer le crash ou le renversement. Alors je coupe le contact et j’attends. Aicha reprend petit à petit conscience en
gémissant, j’abaisse la vitre latérale et je tends l’oreille pour voir si je ne
discernerais pas le vrombissement d’un autre véhicule derrière nous. Rien, si ce n’est la brise du matin dont les
trombes, brèves mais violentes, brutalisent la cime des pins à proximité. À gauche, clouée de guingois entre deux
bouleaux rachitiques, on distingue une pancarte qui annonce :
LE SHACK. C BANE
À SUC E.
J’ouvre
la portière. Un coup de vent s’immisce
aussitôt dans la Lexus et Aicha se met à hurler.
- IL EST LÀ.
- Du calme, mon amour, ne bouge pas, souviens-toi… Nous sommes seuls, nous l’avons peut-être
semé, finalement.
- Quel est cet endroit, qu’est-ce qu’on fout ici? Restons dans la voiture, verrouille les
portières, je t’en prie.
Je
me saisis de la couverture et j’en recouvre le dos de ma petite reine. Ma jambe gauche est ankylosée à un point tel
que je dois la déplacer manuellement afin de l’extirper de la voiture, et au
moment où mon pied perfore la croûte de neige mouillée, les ongles d’Aicha
s’enfoncent dans la chair de mon cou.
- Non, arrête, ça brûle!
- Je sais, écoute…
Je t’en prie, écoute-moi: j’ai aperçu un chalet tout en bas, une espèce
de mansarde, je ne sais pas si c’est habité, mais c’est notre seule chance, tu
comprends? C’est le seul endroit que
j’aie repéré depuis que…
- Referme la portière, referme la portière, referme,
referme…
Aicha
se redresse de quelques centimètres, non sans grimacer, gémit à voix basse, puis
immobilise ma tête entre ses mains en me fixant droit dans les yeux; son mascara a coulé et ses lèvres sont encore
tuméfiées, conséquence du choc qu’elle a reçu plus tôt lorsque nous tentions de
nous frayer une voie dans l’obscurité du garage, et que sa bouche a percuté le
tiroir d’un classeur. Mais bien qu’elle
soit enlaidie par les pleurs, la fatigue et le froid, la sensualité d’Aicha
n’en demeure pas moins taraudante. Elle
me murmure à l’oreille quelques mots que je n’ai pas saisis. Je lui demande de répéter.
- Tuons-nous maintenant.
- Arrête, tu es
folle. Aicha Jedid,
écoute-moi : personne ne tuera personne.
- C’est faux, tu le sais bien… Il est tout près, il vient, tu le sens comme
moi…
Ce
picotement à la cime du gland, cette sourde impulsion du sang à la racine des
couilles. Non, pas ça, pas
maintenant. Concentre-toi.
- Aicha, toi et moi…
nous sommes épuisés, c’est vrai, nous avons perdu beaucoup… Mais ce sera pire si nous restons ici, nous
devons sortir… on trouvera peut-être en
bas quelqu’un qui puisse nous aider, peut-être pas, honnêtement, je ne sais
pas, mais on ne gagnera rien à demeurer ici, il faut sortir…
- JE NE VEUX PAS QUE PERSONNE NOUS VOIT DANS CET ÉTAT.
- Chut, chut… Ça
ira, mon amour, attends… déplace-toi
doucement, c’est ça, un peu plus vers l’avant, doucement, c’est ça…
Le
sang irrigue à nouveau mon pied gauche, je perçois distinctement la froidure du
tapis de neige auquel se mêlent des éclats de bois trempé et des aiguilles de
pin. Je secoue la couverture de crin et
tente de la dérouler sur toute sa longueur à proximité de la portière. Je saisis ensuite Aicha à bras le corps
-- Dieu qu’elle est lourde! – et nous
nous arrachons péniblement au siège du conducteur. La couche de colle industrielle qui scelle
nos bassins l’un à l’autre a la rigidité du ciment, et la moindre traction ne
fait que lacérer davantage la peau du ventre et des cuisses, laquelle se réduit
déjà à une strie purulente qui suinte à la lisière inférieure et supérieure du
carcan.
Nous
boulons lourdement sur le sol gelé. Aicha stabilise aussitôt sa position au-dessus
de moi en m’empoignant les cheveux : je serre les dents, je compte jusqu’à
trois et je roule avec elle sur la couverture en m’assurant que mon corps
recouvre le sien aussi étroitement que possible.
- Je ne sens plus…
je n’ai plus…
Durcie
par le froid, la pointe des seins d’Aicha érafle mes côtes : je pourrais
les sucer afin de la réchauffer un peu, tout est maladivement possible à
présent et c’est à grand peine que je me retiens de sombrer dans l’infinie
noirceur de mon désir.
Je
ne couche pas avec Aicha.
Je
ne lui fais pas l’amour.
Je
ne la baise pas.
Je
ne la viole pas.
Je
la pénètre de force sans y croire et elle me retient de même sans le vouloir.
Les
grêlons rebondissent sur mon épine dorsale avant de se liquéfier dans la raie
de mon cul. Je prends appui sur mes bras
tendus et me cabre au maximum afin de discerner quelque froissement de vie à la
lisière de la grisaille matinale. Tout
en bas, le silence veille comme un fauve autour d’un chalet dont les fenêtres
semblent avoir été placardées de l’intérieur au moyen de feuilles
d’aluminium. Sur la colonne de la cheminée,
gravés dans la pierre, on distingue nettement les chiffres qui correspondent à
la date de construction : 1963.
L’endroit
est sinistre, mais c’est le seul horizon tangible qui nous soit proposé pour le
moment. De désespoir, de fatigue aussi,
je plonge ma bouche dans les cheveux d’Aicha dont les dents se sont mises à
claquer à un rythme lancinant.
- Nous ne pourrons pas ramper dans cette neige… Aicha…
il faudra glisser jusqu’en bas, tu m’entends? Ça devrait fonctionner, attends…
- Que dis-tu?
Elle
faiblit dangereusement. Il me faudra
durcir encore afin de la maintenir éveillée jusqu’au bout de notre
expédition. Rien de plus simple :
je n’ai qu’à regarder son visage luire sous la pellicule fondante des
grêlons. Déjà je sens mon sexe qui se
cherche et se déplie peu à peu à travers les muqueuses ruinées d’Aicha. J’empoigne aussitôt les coins de la
couverture et les rabat sur ses épaules, puis je donne quelques coups de rein
afin d’approcher notre masse fuselée de la pointe de la butte.
- Passe tes bras autour de moi, serre-moi, serre-moi
très fort. Et quoiqu’il arrive, ne me
lâche pas.
Au
terme du huitième coup de croupe, je jouis en toute atrocité et nous basculons
vers l’avant. Mourir n’était pas
clair : encore fallait-il que le ciel se vide à l’infini de tous ses
oiseaux.
6
Aicha
criait encore lorsque je repris connaissance dans le tumulte de la nuit
approchée et les effluves de produit chimique.
Son lit avait été déplacé en travers de la chambre de façon à ce que
j’aperçoive très nettement le message soufflé à la crème à barbe sur le miroir
de la psyché. C’est en tentant de me
dégager que je compris que quelque chose n’allait pas, voire que rien n’allait
plus, et c’est en hurlant qu’Aicha traduisait le message, qu’elle m’expliquait
comment Youssef nous avait surpris, de quelle manière il m’avait assommé,
comment il avait ordonné à Aicha de demeurer immobile sous moi et de cesser de crier
pendant qu’il déversait sur mon échine un seau de résine synthétique, pour
ensuite contraindre ma partenaire à se retourner afin qu’il puisse lui en
recouvrir les fesses à son tour.
La
substance s’était pétrifiée en un rien de temps. Et ce n’est qu’après avoir conclu à la
solidité de notre ceinture génitale qu’il avait inscrit la règle du jeu sur le
miroir à l’aide d’une bonbonne de crème à raser.
- Il savait que nous allions venir, il avait tout
préparé.
- Quoi? Préparé
quoi?
- Je t’avais prévenu, j’ai été folle de t’amener ici.
- Mais bon Dieu, qu’est-ce que tu racontes? Qu’est-ce qui va se passer au bout d’une
heure?
- C’est un jeu, pour lui, tu entends? Un jeu, rien qu’un jeu. C’est comme ça qu’il faisait là-bas… Pour le sport, le plaisir de la chasse. Quand il mettait la main sur un rebelle, il
lui donnait une heure pour le distancer, après quoi il se mettait en route, le
pourchassait jusqu’à ce qu’il le coince, et il l’achevait en lui broyant les
vertèbres une par une…
Aicha
sombrait dans ses larmes et se tenait à la frontière de la démence. J’aurais voulu me concentrer davantage,
penser vite, penser mieux, mais ces élancements que j’éprouvais à la racine de
la nuque faisaient de mon esprit une espèce de kaléidoscope que l’on secouait à
toutes les cinq secondes, et dont les éclats conceptuels ne parvenaient jamais
à atteindre la fixité d’un motif précis.
À cela s’ajoutait l’odeur de la colle, encore très prégnante, la cuisson
lancinante de mes poils pubiens et la glaciation de mon gland décalotté au fond
du vagin d’Aicha.
- Avant de se réfugier ici avec moi, ma mère lui a fait
promettre qu’il ne laisserait aucun garçon m’approcher, et qu’une fois le calme
revenu en Syrie, il me ramènerait auprès d’elle, saine et sauve. Et vierge.
- Aicha, arrête, tout ça, c’est… Écoute, si ce que tu dis est vrai, alors ton
oncle est malade, c’est tout. C’est un
psychopathe, il n’y a pas à chercher plus loin, tu es d’accord? Alors appelons la police, appelons la police
au plus vite et qu’on en finisse avec…
- Non! Surtout
pas! Tu ne comprends pas… Si tu ne joues pas selon les règles, il
annulera le jeu et nous tuera tout de suite, mon Dieu, non… Et
pour se venger, il serait encore capable de s’en prendre aux gens de ta
famille.
- Alors quoi? Il
nous observe en ce moment, c’est ça?
La
nuit tombait et la seule source de lumière ambiante filtrait sous le pas de la
porte coulissante. Je fixais intensément
la pénombre à la recherche d’un voyant lumineux qui eut pu indiquer la présence
d’une caméra clandestine. Je tendais
l’oreille à l’affût d’un souffle étranger, je guettais quelque ricanement macabre. Rien. Mais
je ne sais quel fond de terreur animale me faisait néanmoins acquiescer aux
paroles d’Aicha : oui, nous étions observés.
- Ne me demande pas comment, mais il sait, il entend, il
voit. C’est son métier, sa vie… Surtout, il flaire...
- Bon, très bien, d’accord, chuchotai-je, pas de
police. Alors on fait quoi? On fuit?
Mais nous n’avons aucune chance, tu l’as dit toi-même. Et comment ferait-on de toute façon, pris
comme nous le sommes?
Aicha
se mordit les lèvres en fermant les yeux.
- Il le faut, c’est tout.
Et
je compris que nous ne devions pas fuir dans l’espoir de survivre. Nous devions fuir tout simplement parce que Youssef l’avait ordonné ainsi.
Parce
que tel était le jeu.
7
Aicha
a perdu connaissance, la couverture de crin n’a pas tenu; incapable que j’étais
d’orienter notre descente avec les pieds, la neige collante s’est très vite
agglomérée entre nos corps, et dès le premier cahot, notre traîneau charnel
s’est renversé et nous avons achevé notre course en roulant latéralement, de
tonneau en tonneau, pour finalement nous immobiliser à proximité d’une brouette
chargée de briques, de ferrailles et d’autres immondices que la neige ne
recouvre qu’à moitié.
Je
sens mon sperme goutter au fond d’Aicha.
Elle me recouvre de son grand corps nu et glacé, je reçois les bouffées
de son souffle court sur ma joue, et c’est en claquant des dents que je tente
tant bien que mal d’extraire les grumeaux de neige qui se sont immiscés entre
nous.
- À votre place, je resterais pas planté là.
La
voix est venue de la gauche, une voix nasillarde portée par un accent québécois
trop prononcé pour que ce soit celle de Youssef. Je tords le cou tant que je peux pour
apercevoir mon interlocuteur, mais tandis que j’enfonce ma nuque dans la neige
afin d’élargir le spectre de ma vision, j’aperçois tout là-haut, en plan
inversé, la carcasse de la Lexus qui se met soudain à tanguer latéralement.
- C’est ben beau l’amour, mais là, vous êtes dans le
chemin… Attends, mon pitou, je vais vous
arranger ça…
Et
au moment où la Lexus se met à dévaler la pente, une poigne solide m’enferre
les chevilles et m’entraîne à l’écart avec Aicha. Le ciel vire sur son axe, des milliers de
branches effeuillées s’ébrouent dans l’indéfini, et avant de fermer les yeux,
je vois la voiture caramboler et aplatir la brouette près de laquelle nous nous
trouvions quelques secondes plus tôt. À
la cime de ce fracas de tôle déchirée et fumante, un petit chien bâtard surgit
et aboie furieusement. Aicha gémit, puis
sombre à nouveau dans le sommeil.
- Ok, le chien, on se calme… Ayayaye, tu parles d’une affaire…
Je
ne distingue toujours pas la silhouette du type qui vient de nous déplacer,
mais en tendant le cou à nouveau, j’aperçois l’oncle Youssef qui nous observe
du sommet de la butte; vêtu d’un complet trois pièces, je le vois bien là, sombre
et immobile, les bras ballants, les mains vides et la moustache coulante, comme
s’il supputait calmement les suites possibles de cette tentative de destruction
totale.
- C’est qui, le gros laid?
L’homme
nous contourne et s’arrête à quelques pas de la carcasse de la voiture. Je le vois à présent; par-dessus l’épaule
givrée d’Aicha dont le souffle se raréfie, je le vois : très vieux, il
porte une chemise de chasse boutonnée jusqu’au cou, une casquette élimée des
Expos de Montréal et des bottes de pêcheur qui lui montent jusqu’aux
cuisses. Armé d’une carabine de fort
calibre qu’il a calée sur son épaule droite, canon pointé vers l’arrière, il
ricane doucement en se grattant la barbe et en considérant la synthèse érotique
que je forme avec Aicha.
- Monsieur, cet homme là-bas… ne le laissez pas
approcher, s’il vous plaît…
- Ouain, j’ai ben pensé quand j’ai vu la bagnole
dégringoler. Il a l’air gros en crisse,
le taupin… Je le tirerais ben, mais il
est trop loin. Y a quelques années quand
j’avais encore mes lunettes, je dis pas, mais je les ai perdues dans la rivière
il y a deux ans, la fois où j’ai voulu ramasser une truite mouchetée qui se
débattait dans le filet… elle était
vivace, elle voulait rien savoir, un vrai démon, entends-tu, je l’avais
presque, pis je l’ai échappée, pis mes lunettes sont parties, le courant les a
emportées avec la truite pis le filet pis toute, haha. Oh de proche, je suis encore pas si pire avec
le gun : à 50 pieds, mettons, j’arrache les antennes d’une fourmi, mais
au-delà de ça, eh misère…
Youssef
nous observe toujours de là-haut. Sans
bouger.
- Pas grave. On
va lui envoyer Bouboule.
- Bouboule? C’est
le nom de votre chien?
- Le chien? Haha,
non! Hey, le chien, viens icitte…
Le
petit roquet descend de l’amas fracturé de la Lexus, file entre les jambes de
son maître, grimpe sur nous et se met à laper le cul d’Aicha.
- Non, le chien a pas de nom, il est trop tarlo pour en
avoir un : j’ai tout essayé, tous les noms, Rex, Lassie, Rintintin,
Josélito, name it, y répond à aucun,
alors j’ai renoncé. Je l’appelle «le
chien», pour la différence que ça peut faire, lui, y s’en crisse, en fait, il
écoute seulement quand on y crache dessus, han, le chien?
Le
vieux se rapproche à son tour, renifle bruyamment puis expédie un glaviot
bulbeux sur le dos du roquet, lequel relève aussitôt la tête, dresse les
oreilles et me fixe à travers les mèches de la chevelure d’Aicha que le vent
soulève et rabat dans le désordre sur mon visage. Je constate que le cabot a les yeux croches,
et ce détail, Dieu sait pourquoi, aggrave le claquement de mes dents.
- Monsieur, je vous en prie, ma… ma partenaire est très mal en point… pourriez-vous…?
- Ouain. Je suis
pas très recevant, hein?… on est là à discuter…
Inquiète-toi pas pour le gros : si y descend, je vais détacher
Bouboule… non, Bouboule, c’est pas le
chien, haha, c’est quelque chose
d’autre… tu veux le voir?
- Non, je veux dire, plus tard si vous voulez bien, mais
si vous pouviez nous aider… de l’eau
chaude, pour commencer, un bain chaud, oui, je vous en serais infiniment
reconnaissant…
- Calvince, t’as raison, mon pitou, j’cré ben que pognés
comme vous l’êtes là, c’est la seule solution …
Mais kossé que vous avez sur le cul?
Hey, le chien, arrête de licher deux secondes! Ça a une drôle de couleur, votre affaire… Haha, vous vous êtes roulés dans la tire? Les jeunes, aujourd’hui, c’est n’importe
quoi… En tout cas, elle est ben shapée,
ta pitoune! Remarque, à ta place,
j’aurais pas été plus fin : avec un beau brin de fille comme ça, moi, je
me serais même roulé dans la marde… haha…
Voilà
bien ma chance. Ce vieux ne me semble
pas hostile a priori, mais je doute qu’il ait la force, la santé, voire la
lucidité d’esprit requises pour aller au bout de quoique ce soit. Je pressens qu’avec lui, peu importe ce que
nous entreprendrons, nous serons toujours condamnés à nous arrêter à mi-chemin. Le monde n’est plus pour lui qu’un réservoir d’abrutissements
à modalités variables, susceptibles de commander les réactions les plus
imprévisibles. En temps normal, je m’en
méfierais comme de la peste, mais en ce moment, avec Youssef qui rôde dans les
parages, n’importe quelle créature, même la plus déjantée, se présente comme un
allié naturel que je ne peux m’offrir le luxe de repousser. Si seulement je pouvais me dégager d’Aicha et
m’emparer de la carabine…
- Pour le bain, par contre, va falloir patienter un peu… L’eau chaude icitte, ben faut la réchauffer
d’abord, on n’a pas encore d’électricité, t’imagines? On est en deux mille… deux mille quoi déjà?... En tout cas, trop loin des lignes,
entends-tu, pas assez rentable, c’est ce qu’ils nous ont dit, les gars du
gouvernement… attends, minute… HEY LA FEMME, ON A D’LA VISITE… haha, elle a rien vu passer, la vieille
crisse, elle est sourde comme un potte et encore plus aveugle que moi… ON A DU MONDE, METS L’EAU À BOUILLIR, AU
MOINS TROIS CHAUDIÈRES…
- Monsieur…
comment dois-je vous appeler?
- Calvince, bonne question. Je m’en rappelle jamais, la mémoire me lâche
comme c’est pas possible… HEY MON AMOUR,
COMMENT JE M’APPELLE DÉJÀ?
- C’EST QUI QUI EST AVEC TOI?
- LAISSE FAIRE ÇA, FAIS BOUILLIR DE L’EAU PIS
RÉPONDS : JE M’APPELLE COMMENT?
- TROU DE CUL.
- Haha, la vielle tabarnaque… attends une seconde…
Le
vieux épaule sa carabine, mire la porte du chalet, le coup part et le coin
gauche de la corniche vole en éclats.
Rien ne va plus. Je me tourne
vers le sommet de la butte. Youssef a
disparu.
- JE T’AI DIT CENT FOIS DE PAS TIRER SUR LA MAISON.
- TA YEULE, MON AMOUR, FAIS CHAUFFER L’EAU, PIS BARRE LA
PORTE. Y A UN GROS QUI SE PROMENE DANS
LE COIN. TON GENRE.
Le
vieux sans nom rigole encore un peu, ajuste la courroie de la carabine autour
de son épaule et crache à nouveau en direction du roquet.
- Icitte, le chien.
Bon. Le temps que ça bouille, on
va aller voir Bouboule…
- Et vous laissez votre épouse seule dans le chalet?
- Bah, tu t’inquiètes pour rien. Vous autres, les gens de la ville, vous vous
faites toujours du mouron pour rien...
Ma vieille, elle sait se défendre, entends-tu. Elle coupe le bois, déblaie le chemin en
hiver, tout le kit. À 76 ans, tu serais
surpris de voir la job qu’elle peut débarquer dans une journée. En tout cas, ton gros lard a pas intérêt à
lui faire les yeux doux. Tu demanderas à
Bouboule, hoho… Bon, tiens ben ta
poulette, on va faire un tour dans le sous-bois.
À nouveau,
le vieux se saisit de mes chevilles et nous traîne sans sourciller sur une
centaine de mètres jusqu’à une petite plantation clairsemée située derrière le
chalet. Le carcan de colle compose une
surface lisse qui agit un peu comme une baguette de ski et facilite d’autant
notre glissade sur la neige, mais je crains de plus en plus pour Aicha :
je ne perçois plus son souffle dans mon cou; sa peau glacée, d’ordinaire si
brune, est si pâle à présent qu’elle atteint à une translucidité quasi
funéraire lorsque le soleil levant l’irise à contre-jour.
- Ah ma vieille, elle était belle à l’époque, hé baptême…
elle me faisait un peu penser à ta copine, les cheveux d’une noirceur de
corbeau et les tetons roulés comme deux petits pains brûlants qui sortent du
four… Oui, monsieur, et elle en a
peut-être pus l’air quand tu la vois comme ça, mais dans le temps… Elle
est originaire de l’Uruguay. C’est à
Montevideo que je l’ai rencontrée, y a de ça une cinquantaine d’années… C’était…
ostie, ma mémoire des fois… en
1966? 1967? En tout cas, j’étais en lettres, crois-le ou
pas, j’étais au doc en lettres, oui monsieur, j’étudiais à l’UQAM qui venait
justement d’ouvrir ses portes… Ça, je
m’en souviens… Dans ce temps-là, on
pouvait passer la moitié de la session à négocier le plan de cours, entends-tu,
mais moi, moi, monsieur, j’avais fait la rencontre d’Isidore Ducasse, comte de
Lautréamont, auteur des Chants de
Maldoror, et c’est avec lui que j’ai enfin compris ce que le mot Non
voulait dire… haha…
Le
vieux s’arrête, mes jambes retombent dans la neige et je suis soudain pris
d’assaut par une tremblote irrépressible alors que le pépiement des oiseaux
s’intensifie en réponse à la luminosité croissante de l’aurore. Aicha toussote et morve abondamment. Le vieux nous contourne, disparaît à nouveau
de mon champ de vision, et c’est alors que je distingue un cliquetis de chaîne
déroulée qui se mêle au froissement des brindilles craquelées jonchant le
sous-bois.
- Alors c’est ça, je lisais Isidore, j’avais appris par
cœur tout le premier Chant, je me le récitais dans ma tête en rentrant le soir
chez nous après les cours, et c’est à cette époque-là que j’ai décidé de me
rendre à Montevideo, entends-tu, ville d’enfance d’Isidore, le poulpe aux yeux
de soie pis toute, pour rencontrer du monde qui avait entendu parler de
quelqu’un qui connaissait peut-être un collectionneur qui était soi-disant en
possession d’un manuscrit inédit… Évidemment
c’était pas le cas pan toute, tout ça c’était de la marde typiquement
sud-américaine, mais bon, j’étais jeune, et c’est comme ça qu’un soir, à
l’ambassade canadienne, j’ai fait la connaissance de Jacinta… Aaaah on a dansé ce soir-là, on a dansé tout
collés tout doux, et le vent pognait dans le duvet de son avant-bras posé sur
mon épaule pendant que la mer avalait le monde entier quelque part par là,
c’est tellement loin tout ça… Attends
que je te retourne, hhmpf! tu vas mieux voir…
Quein, je te présente Bouboule : il est pas joli-joli, mais on
l’aime ben quand même… Han, mon pitte, qu’on
t’aime ben quand même?
Le
vieux me saisit sous les épaules et nous fait effectuer un virage à cent
quatre-vingt degrés. Si je n’avais pas
été si faible, j’aurais peut-être trouvé la force de hurler. Peut-être même me serais-je trouvé assez
désespéré pour appeler Youssef lui-même à la rescousse, mais à présent je n’ai
plus le courage de faire quoique ce soit, sinon de regarder droit devant et de
fixer mes yeux sur cette créature, cette chose qui se tient là, à quelques
mètres de nous, écrasée de travers sur son siège, immense, incongrue,
indéfinissable, relevant à la fois du rat, du gorille et de toutes les
variantes intermédiaires que l’on pourrait improviser sur le thème de l’animalité
morbide. La chose elle-même est un sommet
de dépravation ontologique, comme si en elle la force la plus terrible revêtait
l’apparence de la plus grande vulnérabilité, la ruse la plus retorse, celle de
l’abandon le plus candide. Cela se tient
à la frontière où l’abomination se neutralise elle-même en glissant
imperceptiblement dans le noir opaque de l’inconnu. Je ferme les yeux, je les rouvre – encore une
fois. Rien ne peut faire sens de cette anomalie
qui ronge le verbe être de l’intérieur et ravage en les piétinant les possibilités
de sa propre existence.
Je
ferme les yeux, je les rouvre – une dernière fois. Et je me mets à pleurer, mais non d’horreur
ou de froid. Je pleure comme on pleure
quand la pitié vient et qu’on ne sait plus pour qui, qu’on ne sait plus
pourquoi, comme on pleurerait à la vue d’un ami qui porte un petit cochon dans
ses bras.
Entortillée
dans les tronçons de sa chaîne, la chose halète bruyamment. Sa langue violacée bave et pendouille
niaisement sur le plateau inférieur de sa gueule ouverte, putride et édentée;
ses yeux se réduisent à deux fentes creusées dans un amoncellement de cernes
cascadant vers le bas, à l’instar de ceux d’un ivrogne fini.
- Ouain, en tout cas, c’est de même que tout a commencé,
on a dansé… Mais elle a jamais voulu
coucher, pas plus ce soir-là que par après...
Je lui lisais des poèmes d’Isidore jusque tard dans la nuit, des bouttes
du Troisième Chant si je me rappelle ben…
Que se disent deux cœurs qui
s’aiment? Rien. Mais nos yeux exprimaient tout… Bon, mais
elle voulait quand même pas coucher.
Même après que je l’aie ramené icitte pis toute, elle voulait rien
savoir de ça. J’ai jamais su pourquoi,
elle me l’a jamais dit. Entends-tu que
j’avais toutes les raisons de la câlisser là, mais j’ai pas pu, non, j’ai pas
pu. Je l’aimais quand même, je l’aime
toujours j’cré ben, j’ai jamais su pourquoi non plus, j’ai jamais réussi à expliquer
ça dans ma tête. Alors un moment donné
tu te poses plus de questions, pis c’est comme ça, pis c’est certainement pas
pire que ben d’autres affaires qui s’expliquent tout seul mais qui te font
chier mille fois plus, qu’est-ce t’en penses? Héé, pleure pas comme ça… Bouboule est pas malin… C’est le gros taupin qui te fait peur? Aaah, je t’ai dit de pas t’en faire avec
ça. On va s’en occuper dans deux
secondes, promis, mais avant…
Le
vieux envoie valser ses bottes de pluie dans le sous-bois, déboucle sa ceinture
et abaisse ses pantalons en jouant alternativement des deux pieds, comme un
soldat marchant au pas, afin de libérer ses jambes tordues. Il exhibe ainsi un petit phallus pigmenté de
croûtes galeuses et de minuscules fragments de papier aluminium qui plombent,
ça et là, l’extrémité de ses poils génitaux.
Nus pieds dans la neige, il se dirige ensuite vers un petit érable sur
le tronc duquel un seau de plastique a été fixé, s’empare d’une louche qu’il
plonge dans le récipient et qu’il remplit à ras bord de sève érablière. De sa main libre, il se secoue violemment, et
lorsque son phallus atteint enfin la densité souhaitée, il verse le contenu de
la louche et recouvre son sexe rabougri d’une fine pellicule de sucre
liquide. La chose se hisse aussitôt sur
ses pattes de derrière et se met à renifler aux quatre vents. Ma foi, c’est un ours. Ce ne peut être qu’un ours – tondu, brûlé, tailladé,
que sais-je, mais c’est assurément un ours, et un mâle qui plus est, si j’en
juge à la brutalité de l’organe qui s’éploie entre ses pattes au moment où le
vieux se plante en face de lui avec son propre phallus gouttant d’eau sucrée.
Je
détourne la tête, je croise les lèvres bleuies et le souffle absent d’Aicha, je
regarde dans le vide en direction de l’est, et je pleure encore au moment où le
soleil levant embrase les cristaux de neige coulante. C’est alors que j’aperçois Youssef contourner
silencieusement les débris de la Lexus, pour cheminer d’un pas pesant vers le
chalet avec une pièce de fonte tordue entre les mains. Le petit roquet qui, tout ce temps, n’avait
pas cessé de laper le cul d’Aicha, retrousse les babines et se met à grogner en
suivant de la tête la démarche chaloupée de l’oncle.
Tout
à son affaire, le vieux ne semble pas s’être avisé de la situation. Il se rapproche de l’ours, lequel se rabat
pesamment sur ses quatre pattes, verse la tête de côté et avise le phallus étincelant
qu’il darde aussitôt d’une langue pâteuse -- enrobant, dérobant, ficelant et
déficelant tout le sexe du vieux fou, des couilles jusqu’au gland.
- La chasteté, je veux ben, c’est juste qu’avec le temps
– ayoye, câlisse! – avec le temps a ben fallu que je m’invente deux trois
expédients, mais chut! Ça reste entre
nous! Haha… Bon, c’est assez Bouboule,
tourne-toi astheure… aweille, gros niaiseux, de l’autre bord…
Saisissant
la peau écorchée de l’ours à pleines poignes, le vieux l’encule mécaniquement,
en un va-et-vient qui évoque celui d’un coucou qui entre et sort de sa cabane
pour marquer le coup des douze heures; le travail est atroce, mais le vieux s’y
attelle avec componction -- un œil fermé, l’autre ouvert démesurément, et la rangée
supérieure de ses dents clouée sur la lèvre inférieure comme s’il cherchait à bouffer
son propre menton. Pendant toute la
durée de l’opération, l’ours ne rompt son immobilité frémissante que pour
accroître ou réduire l’écart de ses pattes arrière, pourléchant sa gueule déchaussée,
la contractant aussi à l’occasion afin de moduler un vagissement d’une intolérable
opacité, une espèce de «fouiiinnnn» qui évoque, de loin en loin, les adieux que
la vie s’adresse à elle-même avant de réintégrer la nuit de l’abrutissement
minéral. Les muscles du vagin d’Aicha se
contractent soudain. Elle est
vivante. Elle est toujours vivante. Je tente de prévenir le vieux du fait que
l’oncle Youssef vient d’enfoncer la porte de son chalet, mais il ne m’entend
plus.
- Ouain… quand les Russes l'ont amené au Québec, ils
l’appelaient pas Bouboule… gnngnn… ils
l’appelaient… ils l’appelaient
Tarabouba, Taroubaba, quelque chose comme ça, en tout cas, j’ai pas compris
toute l’histoire, mais au zoo de Moscou, ils en voulaient plus… le jour…
gnngnn… le jour où ils se sont rendus compte que Bouboule avait un faible pour
les individus de son sexe… un grizzly sibérien gai, entends-tu… disons qu’y en a qui l’ont pas trouvé drôle… gnngnn… ils ont la mèche courte pour ces
affaires-là, là-bas, en tous cas… ayoye, câlisse!… faque une nuit, y a une gang de gars qui sont
entrés dans le zoo… aeuuggnnnnn…
Sous
le coup de la jouissance ou de sa verbo-motricité, je ne sais, le râtelier du
vieux s’est à demi décroché et lui enfonce la narine droite.
- Fafarnak!
Le
vieux se retire, replace l’appareil avec fébrilité et se verse une poignée de
neige sur la queue avant de remonter ses pantalons.
- Comme je le disais, les gars sont entrés de nuit, ils
ont aspergé Bouboule avec de l’essence pis ils y ont crissé le feu… les gardiens ont réussi à le sauver de
justesse, mais sauf pour deux trois petites touffes ici et là, le poil a jamais
repoussé par après… À la fin, Bouboule était si épeurant que les visiteurs
capotaient en lui garrochant des canettes, des bouteilles, des condoms, toutes
sortes de cochonneries, alors entends-tu que le zoo a voulu s’en débarrasser… On l’a expédié en Allemagne, puis au Portugal,
puis une autre place, je me souviens plus trop…
En tout cas, je sais pas Dieu comment, mais il a fini par se ramasser à
St-Félicien, passablement mal en point, et c’est mon frère Raynald qui l’a
amené ici il y a deux ans, temporairement qu’il m’avait dit, question pour
Bouboule de se retaper une santé dans un environnement un peu plus naturel,
mais Raynald est jamais revenu le chercher, il m’a jamais redonné de nouvelles,
et comme c’est là, ça doit ben faire cinq ans que…
Soudain,
à gauche, une explosion. Des
vociférations proférées en arabe entrecoupent les cris enragés de la vieille,
et le roquet bondit aussitôt du cul d’Aicha pour foncer en direction du chalet. Le temps d’étirer le cou afin de mieux
distinguer ce qui se passe, je vois la cabane pencher à gauche, je l’entends
craquer de toutes ses vieilles planches dans une déflagration de verre
fragmenté avant de s’immobiliser dans la position d’un parallélogramme dont
l’aplatissement complet ne semble freiné que par le socle phallique de la
cheminée.
- Monsieur, je crois…
je crois que le tueur a pénétré dans votre maison…
Je
venais à peine de prononcer ces mots que je vois l’oncle émerger des débris du
chalet avec le chien accroché au gras de son aisselle droite. Youssef semble profondément désorienté :
couvert d’une nappe d’eau fumante, il donne des coups de pied à l’aveugle,
balance ses poings fermés dans le vide en virant sur son axe colossal, pareil à
une ballerine obèse au sortir d’un sauna.
Brûlé au deuxième degré, le teint cramoisi, il percute l’aile avant de
la Lexus renversée, s’époumone à travers une multitude de blasphèmes et tente
en vain de décrocher le bâtard qui tire sur son aisselle, s’échine et se secoue
de toute la force de ses crocs en accélérant le roulement de ses petites pattes
noircies de cendre.
Au
bout de quelques secondes, étourdi par les tourbillons de sa propre furie, Youssef
s’immobilise et s’agenouille à proximité d’un vieux baril de tôle gangrenée par
la rouille, puis plonge ses deux énormes paluches dans la neige pour s’en
asperger nerveusement le visage. C’est
alors qu’il nous aperçoit, le vieux, Bouboule, Aicha et moi. Il cligne des yeux, secoue la tête, cligne
des yeux à nouveau en serrant les dents.
Puis, comme s’il venait de se souvenir du cabot qui rage sous son
aisselle, l’oncle se relève, tente de saisir le chien, d’abord en plongeant la
main gauche par-dessus son épaule droite, ensuite en balayant son dos des deux
mains, mais rien n’y fait : gêné par l’épaisseur de ses biceps, Youssef
manque de portée et ses gestes sont constamment freinés à mi-chemin de leur
élan. Exaspéré, il déchire les manches
de son veston; la frange dorsale choit aussitôt dans la neige, recouvrant le
cabot en son entier, lequel persiste à rager dans le vide, minuscule fantôme
prisonnier des loques de tissu satiné.
L’oncle souffle bruyamment, considère le tas de chiffons grouillants
d’un air ahuri, mais vaguement satisfait.
Puis il lève le pied. Bref
couinement. Ne demeure qu’un trou
profond dans la neige.
- Ah, le gros crisse.
Faire ça à mon chien… Attends un
peu, gnngnn, …
- Monsieur, la carabine…
tirez-le… il est assez proche,
maintenant, vous pouvez… oui, maintenant… tirez…
- T’en câlisser, de la carabine…
Je
ne sais pas ce que le vieux a en tête, ou plutôt, je le devine, mais je ne vais
pas demeurer là, étendu sous Aicha, et réviser la conjugaison du non-être à
l’infinitif absent. Youssef se tient
désormais à une centaine de mètres de notre position et se met à se départir,
lentement et méthodiquement, de tous ses effets détrempés : sa
montre-bracelet tout d’abord, sa chaîne d’or ensuite, puis ses pantalons, ses
chaussettes, sa camisole qu’il suspend un à un aux différentes saillies de l’armature
défoncée de la Lexus. Parvenu au
caleçon, il hésite un moment, crache au diable, puis se résout finalement à
s’en débarrasser comme du reste. Il se
tient à présent parfaitement nu, jambes écartées dans la neige. Et alors que je croyais qu’il allait
peut-être enfin se décider à foncer sur nous, le voilà qui se met à pisser de
mépris, projetant loin au-devant de lui une puissante fontaine d’urine qui
plombe d’un or léger les débris de feuilles mortes et croustillantes qui
émergent, ça et là, du tapis de neige coulante.
Youssef
est venu ici pour nous, c’est pour nous qu’il a fait tout ce chemin, je ne dois
pas l’oublier. Ce n’est qu’une question
de secondes avant qu’il ne récupère.
Je saisis Aicha à bras le corps,
je la retourne sur le dos, et je tire, je tire de toutes mes forces,
mais c’est peine perdue : Aicha gémit à nouveau, toujours inconsciente, et
cette tentative d’extraction ne débouche que sur une dislocation accentuée des lois
qui régissent la flexion de la lumière entre mes pensées.
Apercevant
l’oncle nu, le vieux se met à ricaner tranquillement en ouvrant le cadenas qui fixe
le collier de l’ours à la chaîne dont les anneaux serpentent jusqu’à
disparaître dans les profondeurs du sous-bois.
- Maldoror
passait avec son bouledogue; il voit une jeune fille qui dort à l’ombre d’un
platane, et il la prit d’abord pour une rose…
Attends un peu, mon hostie…
Aussitôt
détaché, l’ours se hisse sur ses pattes arrière en reniflant avec ostentation,
comme s’il cherchait à reconnaître dans l’odeur échauffée de Youssef une
fragrance rencontrée jadis au cours de ses migrations européennes. Puis, une bave abondante lui montant aux
babines, il avance lourdement en direction de l’oncle, et c’est à ce moment que
je constate que la bête est en proie à une érection cyclopéenne, son sexe
encroûté de plaques sanglantes pointant vers le ciel.
Youssef
sourit, ouvre les bras, et se jette à la rencontre de l’ours.
Les
deux se livrent à une accolade titanesque; ils s’enlacent, pareils à deux amis
qui se retrouvent enfin après des années d’absence. Je ne sais pas si on pourrait parler de danse
dans un cas semblable, mais leur tangage évoque une espèce de slow très lent et
très torride à en juger par la densité du rapprochement; ventre contre ventre
et front contre joue (car bien que Youssef soit très grand, l’ours le dépasse
tout de même d’une bonne gueule), les deux partenaires semblent épouser les
mesures d’un air qu’ils sont les seuls à capter, à telle enseigne que leur
tentative d’étouffement mutuel se transcende dans une fiction aristophanesque
de fusion primitive des amants, et à les voir ainsi valser à vitesse réduite,
pied gauche pesant sur la patte gauche, patte droite appuyant sur le pied
droit, basculant au ralenti de part et d’autre comme un weeble dont on ne sait
de quel côté il va finir par verser, nous demeurons là, immobiles; congédiés de
tout concept, nous persévérons bêtement dans l’irreprésentable, abrutis de solitude
après le dernier écart de la nuit entre les os.
- Fouiiinnn!!
Et
voilà le sperme qui afflue entre les bides, éclate en larges et crémeuses
coulées sur les cuisses poilues de l’oncle dont la face congestionnée rougit à
nouveau, ses joues gonflées à se rompre d’un souffle qu’il ne sait plus
libérer; ses yeux démesurément ouverts plongent à vide dans les paupières
purulentes de la bête qui s’est mise à lui laper le crâne et à zigner son flanc
jusqu’à lui broyer les reins dans un craquement de bois sec.
Sa
jouissance parachevée, l’ours se rabat sur ses quatre pattes, crache un peu de
bile puis se lèche les couilles pendant que Youssef bascule vers l’arrière, s’abat
d’un seul montant dans la neige et demeure là, paralysé, le souffle fou et le
regard mouillé par la crevaison du ciel entre les bois et la ruée sauvage du
sang qui lui monte aux lèvres.
Émergeant
du trou foré plus tôt par le pied de Youssef, le cabot traîne tant bien que mal
son petit corps crochu toujours emmitouflé dans les pièces déchiquetées du
veston : il dodeline sous l’ivresse spectrale de la mort à venir, boitant
dans les retailles de soie persane, sans gémir ni saigner, comme le produit
sans objet d’une multiplication sévère de l’est par l’ouest.
- Hé, le chien!
Toujours vivant? Haha,
regarde-moi ça aller… En tout cas, le
gros crisse a eu son compte, Bouboule y a appris à vivre, hoho… T’as vu comme ils nous ont dansé ça? Bravo Bouboule! Ahh, tiens, moi aussi ça me donne envie de
danser…
Je
tourne la tête à nouveau. Youssef ne se
relèvera pas, mais il est toujours vivant.
Même étendu à plat dans la neige, même avec les vertèbres rompues, il
n’en demeure pas moins vivant et donc dangereux.
- Monsieur?
- Je veux danser.
- Monsieur, s’il vous plaît… le tueur… vous…
qu’allez-vous en faire?
- Han? Bof, on va
s’occuper de ça… ma foi, ça fera de la
viande pour Bouboule ce printemps, han Bouboule?
Ce
disant, la femme du vieux s’amène à son tour, tout juste vêtue d’une robe de
lin dont la bretelle droite est déchirée, traînant à deux mains un seau rempli
d’eau bouillante; décoiffée, l’œil mauvais et l’arcade saignante, elle grimace
au spectacle de l’ours qui persiste à se lécher le sexe, crache en direction de
l’oncle qui tente en vain de la retenir en lui adressant la parole en arabe,
puis se plante devant son époux en laissant le seau retomber lourdement dans la
neige.
Le
vieux l’engueule aussitôt :
- OÙ T’ÉTAIS CÂLISSE?
- EN T’SOUS D’UN TAS DE PLANCHES TABARNAK. TON GROS A DÉFLABOXÉ LA MOITIÉ DE MA
MAISON. TU VAS AVOIR D’LA JOB CE
PRINTEMPS, C’EST MOÉ QUI T’EL DIT.
- TU VEUX DANSER, MON AMOUR?
- HAN?
- JE TE DEMANDE SI TU VEUX DANSER.
- HAN?
- LAISSE FAIRE. DONNE
LA CHAUDIÈRE PIS VA ME CHERCHER LA SCIE À MÉTAUX.
D’un
geste autoritaire et maladroit, le vieux s’empare du seau et se rapproche de
nous. Là-bas, non loin, l’oncle observe
la scène en agitant ses bras de jambonneau dans la neige.
- Ok, le jeune, on va y aller one shot, drette sur le cul, là où la croûte est la plus
épaisse… Prêt? Une, deux…
8
Aicha
et moi avions disparu derrière un voile de fumée blanche. J’en étais à me dire que ce traitement de
choc était sans effet et que notre cause était perdue lorsque je me mis à
éprouver un léger picotement au niveau de l’aine. Puis vint la brûlure : abrasive,
profonde, impensable. Affolé, je crus un
instant que le vieux allait achever l’opération en sciant les ultimes
charnières de notre carcan génital et que c’était à cette fin qu’il avait
formulé la requête de certain instrument auprès de son épouse, mais je me
ravisai lorsque je perçus soudain un craquement aqueux et que je vis le cul
d’Aicha surgir comme une huître de la coquille fendue.
Elle
sanglotait à présent, elle sanglotait chaudement, inconsolable, à moitié folle
peut-être, et le vieux achevait de nous séparer l’un de l’autre en immisçant
ses doigts noueux sous le dernier fragment de colle qui adhérait opiniâtrement
au côté droit de mon bassin, cependant que je tentais vaille que vaille de couvrir
le dos d’Aicha d’une vieille douillette de laine grise que la vieille avait
rapportée en même temps qu’un énorme coffre à outils.
- Bon ben, je vous retiens pas. C’est pas que je veux être impoli ni rien,
mais comme le dit ma femme, j’ai du pain sur la planche et je peux pas vraiment
vous inviter à entrer dans l’état où qu’est la maison. Vous allez voir, un peu plus bas, y a une
chaloupe. Je m’en suis pas servi depuis
un boutte, mais ça devrait aller. Vous
avez qu’à suivre le courant et vous devriez arriver au village de
Saint-Saturnin pour l’heure du diner.
Je
ne conserve pas un souvenir très limpide des événements qui sont survenus par
la suite. Je me rappelle avoir vomi
brièvement après m’être relevé sur mes jambes flageolantes. Je me souviens aussi du regard de Youssef au
moment où j’entraînais Aicha avec moi en direction de la rivière :
toujours étendu dans la neige alors que le vieux commençait à lui scier la
jambe gauche, il ne semblait pas s’émouvoir outre mesure de l’opération, si ce
n’est qu’à un certain moment, je le vis froncer les sourcils, comme si en bon
professionnel de la mort lente, il s’apprêtait à critiquer le vieux au sujet de
sa technique de démembrement.
Je
me souviens enfin de notre installation dans la chaloupe; grelottant sous la
couverture, nous ne ramions pas, nous ne faisions rien que nous laisser porter
par le courant, et notre embarcation, comme mue par une intelligence naturelle
des eaux, semblait évoluer d’elle-même entre les fragments de glace qui résistaient
encore à la fonte printanière.
Je
me rappelle enfin qu’à un certain moment, je tournai la tête en direction du
chalet dont j’apercevais l’accélération angulaire sur la butte, et que des
mugissements de génisse écorchée en émanaient, suivis d’un rire terrifiant qui
était celui de Youssef, un rire tragique que l’écho semblait devoir relayer à
l’infini tandis qu’un coulis de tripes fumantes dévalait le talus jusque dans
la rivière.
Blottie
tout contre moi, Aicha frissonnait mais ne pleurait plus. Je redressai la douillette et lui pinçai le
nez. J’étais heureux.
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