vendredi 14 août 2015

Tableau de bord (parafiction 12)

485 août

En route vers les Galeries d'Anjou, j'ai marché une bonne heure sur la voie de service de la 40, direction est, avant d'échouer à la boutique Séduction, là où on devait me transmettre une nouvelle feuille de route.

Derrière le comptoir de la réception, une femme vieille, plutôt jolie et partiellement édentée vaquait à l'étiquetage d'une toute nouvelle livraison de films pornos en direct de la colline parlementaire.  Je parcourus d'un oeil semi-fiévreux les titres des DVD:
Duffy Duck 
Peeping Tom and Pipeline Peta
Sovereign Mammas in Kingston 
Jostune Doodle Fuck-a-Doo 
Stephune Gangbad and The Aborted Mary Sue...

Ma fatigue était sans limite et j'hésitais à secouer de mes épaules la poussière accumulée par le passage des dix-huit roues.  La vieille déposa son étiqueteuse.

--  Kossé je peux faire pour toé, mon tit gars?
--  Hmm, eh bien, je ne sais pas trop...  Est-ce que vous tenez encore des films de cul comme dans le temps... je veux dire,..  vous savez...?
--  Tu veux dire des films avec des gros pénis pis toute?
--  Oui, oui....  Et copulant par le derrière le tarin de l'idée de père...
-- ...avec la crotte du rat rentré... *

La vieille posa son index sur les lèvres et me fit signe de la suivre dans l'arrière-boutique.  Au dernier moment, j'avais craint de ne plus me souvenir du mot de passe, mais à présent je pouvais souffler, tout était sous contrôle et la mère de toutes les révolutions ouvrait le chemin au milieu des étagères garnies de DVD qui colligeaient les épisodes les plus salés de la politique canadienne depuis les 150 dernières années.  Avant de passer le rideau de bambou, j'aperçus, bien en vue sur l'étagère la plus élevée, le luxueux coffret des Positions complètes du Fédéral, en vente pour la modique somme de 60$.

Dans l'arrière-boutique, la vieille tassa les piles de cassettes VHS qui encombraient une table à pique-nique sise au centre de la pièce, puis elle m'invita à prendre place sur une glacière Coleman toute rouillée et cabossée par la circulation des camionneurs qui empruntaient la 40 depuis le début des temps.  (Je mesurai l'infinité virtuelle de la route de l'est à l'odeur caoutchoutée, très seventies, qui se dégageait des retailles de toiles de tente qu'on avait empilées à la diable aux quatre coins du cubicule.)

-- Vas-tu ben finir par me dire kossé tu veux, mon pitou?
-- Eh bien...  Mettons que je cherche Edgar...
-- Aaaah, Edgar...  Calvince, ça fait un boutte que je l'ai pas vu passer par icitte, Edgar...  Y en a qui disent qu'il s'est fait pogner en train de rouler des zoizeaux dans le parking des Galeries,...  d'autres qui disent qu'il passe sa journée au Starbucks... y en a même qui disent qu'il travaille comme vendeur au Sephora...  Tu veux-tu je te dise ce que j'en pense ben franchement?
--  Oui, oui...
--  Ben franchement...  les Sociétés se croient seules et il y a quelqu'un...
--  J'ai vu un mort qui se portait très bien avec son verre à la main...*


La vieille posa à nouveau son index sur les lèvres et me fit signe de l'accompagner dans l'arrière-arrière-boutique.  Elle s'éloignait, se grattant le dos.  Pas d'inquiétude.  Tous les mots de passe me revenaient: je n'avais qu'à ouvrir la bouche et à fermer le jeu.  D'aussi loin que je me souvenais, les mots faisaient la ruelle, les mots étaient de passe comme les hôtels.  Avant de franchir le rideau de fer, j'aperçus, suspendue au plafond, une banderole sur laquelle il était écrit: «Le 12 août, j'achète un livre québécois, mais je sais pas si je vais le lire»

Dans l'arrière-arrière-boutique, Léa était plantée devant le miroir d'une salle d'essayage et tirait sur les pans de son nouveau tailleur d'attachée de presse pendant que Torus bandait la corde d'une arbalète de chasse.  Ni l'un ni l'autre ne m'accordèrent la moindre attention, et dès que je m'avançai pour leur adresser la parole, la vieille me prit sous le bras et m'entraîna au fond d'un couloir qui déboucha soudain sur les glaces ruisselantes de l'aile nord des Galeries d'Anjou.

--  C'est par là, mon pite, bonne chance!
--  Madame...
--  Kossé tu veux encore, mon tit homme?
--  Vous...  vous n'auriez pas un dernier mot de passe, un dernier, juste comme ça, pour me donner un peu de courage?
--  Hmm... bon, mais répète-le à personne...  et qu'est-ce que l'esprit sans le corps?...
-- ... de... de la lavette de foutre mort...*
--  Ok, aweye astheure, go, go, go...

Je m'égarai des heures durant dans le labyrinthe des Galeries, bousculé de toutes parts par des hordes de consommateurs qui émergeaient du Jean Coutu en se disputant les derniers rouleaux de White Swan en spécial ou qui dégueulaient sans fin à la sortie du Manchu Wok.  À un certain moment, j'avais aperçu un type louche qui correspondait assez au signalement d'Edgar: mine de rien, il circulait entre les présentoirs de la bijouterie Caroline Néron, puis raflait d'un geste vif trois ou quatre breloques qu'il empochait sans plus de précautions.  Je l'avais suivi pendant quelques minutes, puis perdu de vue lorsque je me fis barrer la route par une escouade de démineurs qui fonçaient aux entrepôts de Rose ou Bleu où on disait avoir découvert une pleine cargaison de suces explosives et de tortues à fragmentation.

Je le retrouvai par hasard au beau milieu d'un attroupement qui se formait en face du Simons et au centre duquel un petit gros vêtu d'un casque de construction s'apprêtait à enfoncer son marteau-piqueur dans une plateforme Bixi qui, Dieu sait comment, avait été boulonnée verticalement au mur du Body & Beach.  Le petit gros circulait, rageait et hurlait en brandissant son casque à bout de bras:

-- !! moi ednis coderre !! et fier n'inaugurer la destruction de patente à crisse !! nes chers noncitoyens noncitoyennes !! parole d'nednis coderre !! les nerroristes ne n'étudiants n'affaire icitte astique !!

Et au moment où la mèche du marteau-piqueur effleura la plateforme métallique, Egdar vola très haut dans le ciel, il vola jusque dans les lustres de l'aile ouest des Galeries, une immense lumière jaillit des profondeurs du Bikini Village et.........................


YOU HAVE REACHED LEVEL 13
RAVEN'S RUNE UNLOCKED

  

* En Artaud dans le texte



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