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Dans
la forêt toute proche, le vent s’abat d’un seul coup et les arbres grincent
comme de vieilles portes d’armoire. Il
est tôt. Au pied de la pente gravelée de
pierres blondes, l’eau du lac jouit de la même immobilité qu’une nappe de sirop
parvenue aux limites de son écoulement.
Je
ne sais pas encore si mon amie viendra me rejoindre. Hier, elle s’appelait Marie-Miroitante. Avant-hier, c’était Marie-Massacre parce
qu’elle se reprochait d’avoir tiré une grenouille à la carabine à plomb. Aujourd’hui, je ne sais pas quel sera son
nom, je ne crois pas qu’elle en décide à l’avance, elle attend de voir comment
le monde s’ouvre, se ferme ou se fracture autour d’elle, le nom ne vient
qu’après.
Je
saisis la pierre la plus plate que j’aie trouvée sur la rive, je prends mon
élan puis je l’expédie de toutes mes forces en direction du lac. Un-deux-trois-quatre-cinqsixsepthuitneuf. Mon record personnel est de onze rebonds. Je me donne jusqu’à la fin de l’été pour le
battre. Ma belle-mère dit que je n’ai
pas assez de force dans le bras, que c’est déjà un miracle si j’ai réussi à
franchir le cap des dix rebonds. Saleté
de belle-mère. Marie-Minérale me dit que
je ne la déteste pas assez. Que ce n’est
pas suffisant de la traiter de saleté de belle-mère, que je devrais la traiter
de cochonceté de truie totale. Je trouve
qu’elle y va quand même un peu fort.
Parce que c’est une chose de détester ma belle-mère, c’en est une autre
de se pogner le zouizoui comme je l’ai fait hier en cachette tandis qu’elle
niaisait les deux pieds dans l’eau avec son bikini fleuri. Ça, je ne l’ai pas dit à Marie-Mironton, mais
c’est un fait : j’aime les boules bien jackées de ma belle-mère, surtout
quand elle est en costume de bain, les pieds dans la flotte boueuse, et que la
pointe de ses tetons se tord de froid et aspire à la plus extrême
hébétude à travers le motif tropical de son haut de bikini. La détester est une épreuve éblouissante.
Je
m’empare d’une pierre encore plus plate que la précédente, et en me relevant, j’aperçois
Marie-Sans-Nom qui marche sur le chemin de terre. Elle a encore attaché ses longs cheveux
noirs. L’autre jour, quand je lui ai
demandé pourquoi elle ne les laissait pas flotter librement, elle m’a répondu
que c’était parce qu’elle ne voulait pas que les oiseaux se prennent dedans
quand elle court dans la forêt. J’ai
trouvé ça niaiseux comme explication. Je
l’aime mieux quand elle a les cheveux détachés et qu’elle les laisse traîner
derrière elle comme une nuit liquide, sans fond et sans étoiles.
Elle
s’est levée il n’y a pas longtemps, ça paraît dans sa face. Elle se laisse glisser en gougounes sur la
pente caillouteuse, perd momentanément l’équilibre puis le rattrape à grandes
enjambées dans la poussière.
- T’as
apporté ta carabine à plomb?
- Non. Pourquoi?
Regarde la roche que je viens de trouver!
- Je veux
plus qu’on tire les grenouilles, ça me lève le cœur.
- C’est
une roche parfaite, je vais battre mon
record!
- En
repensant aux grenouilles, hier soir, j’ai presque vomi mon sundae aux cerises.
- T’en as
tiré rien qu’une…
- Ben ça
m’a levé le cœur quand même, pis je veux plus en tirer.
Plus jamais.
Le
reflet des montagnes frémit dans l’eau du lac, la permanence de l’été n’est
déjà plus qu’une rumeur réduite au claquement d’une portière à proximité du
chalet, le vent se lève avec une nuée de mouches noires, s’abat à nouveau à la
lisière de la forêt, vire sur ses gonds, puis fait claquer la robe de
Marie-Matinale avant de disparaître dans la poussière du chemin. Le silence enveloppe nos visages soudain
invalidés par cette immensité sans emploi.
- Pour
vrai, pourquoi t’attaches toujours tes cheveux?
…………………je……………je………………………………………………………………………je………………………………………………….je……………………………………………………............je je je jejeje je jeje m’éveille avec la
queue dans la bouche d’une pute guatémaltèque.
Me suis endormi pendant que la
fille me pompait. Osti. Je me reviens de très loin et tout à fait de
travers, mais pas de doute : je suis bien ici, dans ce studio, avec elle –
qui elle? quoi elle? – oui, ça va, du calme, je me reviens, je la
reconnais. Elle a interrompu le
mouvement de succion, mon gland appuie mollement contre ses lèvres et elle
m’observe, les yeux grand ouverts, comme si elle n’en revenait pas elle-même
que je me sois assoupi en pleine pipe.
Elle se redresse, hésitante.
- Ça va, lé bou messiou?
Me souvenir de son nom. Je me rappelle qu’elle a parlé du Guatemala,
mais son nom ne me revient pas. Roberta? Robertina?
Bernadetta? J’aperçois une gouttelette
de sperme sur l’aile de son nez, donc je suppose que j’ai joui pendant mon
sommeil. Je me relève vaille que vaille avec
un milliard de pensées écrasées sur le pare-brise de ma conscience.
- Tou vou prenne la douche?
- Peut-être, je sais pas, excuse-moi, haha, crisse,
je… Non, en fait, je vais…
- Prenne ton temps, lé bou messiou, prenne ton
temps.
- Attends, je veux juste vérifier quelque chose.
Je tire le portable de la
poche de mon jeans suspendu au dossier de la chaise et je triture l’écran à
deux pouces. Rien, si ce n’est un
message de Raymond Gauthier que je lirai tout à l’heure et une notification de
Google : Il semble que vous soyez au
salon de massage Azteca en compagnie d’une courtisane nommée Magdalena.
Je me penche sur la poche de
hockey qui est demeurée par terre tout ce temps, à proximité du matelas et du
flacon de K-Y, et j’en extrais deux cartouches de Player’s Light que je tends à
la fille.
- Tiens, pour ton garçon. Fernando, c’est ça?
- Gustavo.
C’était l’entente, ça lui
convient, je la paierai en espèces la prochaine fois. Elle noue la serviette de bain autour de sa
taille, pose ses petites mains brûlantes sur mes épaules, se dresse sur la
pointe des pieds puis me fait la bise comme une lointaine cousine au jour de
l’an.
Lorsque je débouche dans la
nuit de Villeray, je me mets à grelotter comme une marde. J’avale aussitôt deux
comprimés d’Anafranil et tout en marchant en direction de la rue
Christophe-Colomb, je parcours en diagonale le message de Gauthier. Je crois comprendre que la réunion
d’après-demain portera sur le thème de la fracture
identitaire et de la dissolution néo-gauchisante
du concept de nation. À peu de choses
près, il n’est pas impossible que Mathieu Bock-Côté prenne la parole en
bedaine, crache le sang et en appelle aux armes de la lucidité renouvelée, mais
j’ai probablement manqué ce dernier point, je grelotte trop, je reprendrai la
lecture du message une fois rentré chez moi, en espérant que Fripouille n’ait
pas dégueulassé la chambre de bain avec ses débris de rats crevés.
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