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mstamour@monpsy.qc.ca
Cher Monsieur,
Je vous prie par la présente de
bien vouloir renouveler ma prescription d’Anafranil dans les plus brefs
délais.
Conformément au nouveau
protocole d’intervention que vous avez établi, et dont je mesure très bien le
caractère expérimental, je remplis ici ma partie du contrat : je vous
écris, je vous explique, en échange de quoi
vous apposez votre signature illisible au bas de la prescription que
vous avez toute liberté de modifier à la lumière de votre évaluation
professionnelle.
Lors de notre dernière
rencontre, vous m’avez demandé de clarifier ma conception politique du monde en
lien avec les apparitions, beaucoup plus fréquentes ces dernières semaines, de
la fille aux cheveux-longs-et-noirs. Je
ne suis pas sûr de pouvoir y arriver, je vous le dis franchement. La rupture amoureuse est un sujet délicat et
celui de la politique ne l’est pas moins, mais quant à dégager la nature exacte
du rapport susceptible de nouer ces deux expériences abyssales, il serait
prétentieux de ma part, ou à tout le moins prématuré, de prétendre pouvoir y
parvenir ici plus clairement que je ne l’ai fait la dernière fois que nous
avons abordé ce sujet. Mais je veux bien
essayer.
Quiconque désire se situer sur
le plan des faits-et-rien-que-les-faits doit d’abord s’assurer d’éviter aussi
bien le piège de la surinterprétation que celui de la sous-interprétation. Or, à cet égard, la seule chose qui me semble
parfaitement factuelle, c’est la coïncidence entre la rupture avec *** et la
révélation qu’en politique tout est simultanément vrai. Je dis «coïncidence» parce que je ne veux pas
forcer ici la relation entre les événements et suggérer, par voie de fausse
causalité, que la rupture avec *** aurait provoqué la révélation politique, ou
que celle-ci, à l’inverse, aurait pu précipiter la séparation. Ce serait là tomber dans le piège de la
surinterprétation que j’évoquais plus haut.
Mais je ne peux pas non plus, par volonté forcenée de me soustraire à
tout reproche de pensée magique, prétendre que le lien entre les deux événements
soit une pure coïncidence. Coïncidence, certes, mais pure? L’affirmer catégoriquement équivaudrait à
tomber dans le panneau de la sous-interprétation – qui n’est elle-même qu’une
modalité de la surinterprétation quand on y pense, mais plus retorse dans la
mesure où elle ne s’avoue pas son affinité de fond avec cette brutalité
positiviste que je récuse tout autant que le dandysme herméneutique.
Tout ce que je dis, tout ce que
je sais, cher monsieur, c’est qu’il y a eu coïncidence entre la rupture avec
*** et la révélation politique. Vous
vous étonniez, l’autre jour, que j’utilise le terme de «révélation» pour
qualifier l’idée qu’en politique, tout est simultanément vrai. Il est juste qu’à première vue le terme peut
paraître un peu fort, d’autant qu’il s’applique ici à une idée que vous avez eu
la légèreté de considérer comme «relativement floue». Mais c’est que vous négligez la prémisse à
laquelle il faut constamment reconduire cette révélation sans quoi, de fait,
elle perd de son acuité, à savoir que le monde est ontologiquement constitué de
trous de cul, que tous autant que nous sommes, nous avons affaire au Cul comme
à la chose dont nous sommes le trou immédiat.
Il ne s’agit pas ici, je vous le rappelle, d’un jugement moral, mais
d’un état de choses ontologique.
Vous, moi, le livreur de
journaux, le premier ministre du Québec, la pute et son client, l’écrivain et
son critique, le prof et son étudiant, la mère et son enfant, le terroriste et
sa victime, le proprio et son locataire, le bourgeois et son prolétaire, etc.
ne sommes que des effectuations à géométrie variable, des trouées ponctuelles,
plus ou moins profondes, plus ou moins explosives, de ce monde qui se réduit
sans reste à un gigantesque Cul en perpétuelle ébullition.
Si cette révélation a d’abord
pris pour moi un caractère politique, c’est tout simplement (du moins, c’est ma
conviction) que la politique est le lieu par excellence où se vérifie
l’affirmation relative à l’universalité du Cul, de même que l’énoncé qui en découle
nécessairement, à savoir que dans un monde où tout est cul, il s’ensuit que tout est vrai, que tout, sans exception, est d’entrée de jeu
voué à une vérité totale et simultanée.
Prenons par exemple l’affaire
de Dominique Strauss-Kahn, survenue en mai 2011. Vous vous souviendrez sans doute de cette
sordide histoire d’agression sexuelle sur une femme de chambre dans un hôtel
new-yorkais. La question de savoir si le
monsieur a pris l’initiative de trousser brutalement la madame, fidèle en cela
à sa nature de prédateur sexuel, ou s’il n’a pas plutôt été victime d’un coup
monté visant à torpiller définitivement sa carrière, cette question, dis-je,
n’a pas lieu de se poser puisque les deux versions de l’affaire sont intimement
et simultanément avérées. Je veux
dire : il est vrai que DSK a violemment agressé la femme de chambre, et il
est non moins vrai que celle-ci lui a tendu un piège. Tout est vrai, et l’agression, et le
complot. Mais comment en être certain,
me demanderez-vous? Mais parce que tout
est Cul, comme je le soulignais plus haut.
DSK et la femme de chambre sont des trouées anthropologiquement
déterminées du monde en tant que cul, ce que nous résumons de façon vulgaire en
disant que ce sont deux trous de cul. En
résumé : la femme de chambre était une putain à la solde d’une
organisation ayant comme objectif de faire tomber un étron flanqué d’une queue
en état de trique permanente.
Prenons maintenant le cas de
Gabriel Nadeau-Dubois, ou celui de Jean-François Lisée, ou celui de n’importe
quelle figure politique d’ici qu’il vous plaira de considérer à titre
d’exemple. L’être-cul de nos politiciens
ne s’effectue pas toujours dans le même sens, cela s’entend, mais il n’en
demeure pas moins que chacun et chacune, Barrette tout autant que David, Massé
non moins que Trudeau, reconduit son appartenance au Cul de façon chaque fois
singulière, tantôt sur le mode de l’être-enculant, tantôt sur le mode de
l’être-enculé, ce qui fonde l’affirmation selon laquelle tout est simultanément
vrai puisque la vérité, par définition, n’a de sens qu’en regard de l’horizon
du Cul, d’où l’idée que le jugement A ne saurait s’opposer radicalement au
jugement B, que les deux jugements ne peuvent pas se contrarier en profondeur
car ils ne sont que des ramifications incestueuses de l’Un-Cul, des trouées
ontologiquement déclinées de la spirale auto-enculatoire qui nous emporte
tous, et dont on ne peut pas faire sens pour la raison que c’est plutôt elle
qui fait sens de tout, et au premier chef, de notre concept de «vérité».
(Cela dit, fort du respect que
j’ai pour vous, et bien que je tienne votre capacité à ne vous étonner de rien en
très haute estime: 1) je vous conseille vivement de relire à tête reposée le paragraphe
précédent; 2) je vous déconseille, non moins vivement, d’abîmer votre esprit dans
la contemplation d’une poignée de porte et de vous demander comment celle-ci
pourrait, à son échelle, apparaître comme une effectuation de l’être-cul. Cela peut sembler contre-intuitif, mais dans
le cadre théorique où je me situe, je vous assure que le champ des objets est
infiniment plus kinky que celui des
êtres vivants.)
Sur ces mots, cher monsieur, je
m’arrête, en espérant que ces précisions me vaudront le renouvellement de ma
prescription pour le mois prochain.
Cordialement,
***
P.S. Je me promets, dans un avenir proche, de vous
en dire davantage sur mon travail de contrebandier. Vendre des cigarettes à des mineurs n’est pas,
j’en conviens, un travail des plus édifiants, mais il entretient avec ma
conception politique des choses des liens étroits. Je vous parlerai aussi de ce groupuscule de
nationalistes honteux que j’ai rencontré récemment, et dont vous allez sans
doute entendre parler très bientôt. Je
ne peux vous en dire plus pour le moment, mais soyez sûr d’une chose :
ça va chier.
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