samedi 27 mai 2017

Les vents solaires, 6


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mstamour@monpsy.qc.ca

Cher Monsieur,

Je vous prie par la présente de bien vouloir renouveler ma prescription d’Anafranil dans les plus brefs délais.
 
Conformément au nouveau protocole d’intervention que vous avez établi, et dont je mesure très bien le caractère expérimental, je remplis ici ma partie du contrat : je vous écris, je vous explique, en échange de quoi  vous apposez votre signature illisible au bas de la prescription que vous avez toute liberté de modifier à la lumière de votre évaluation professionnelle.

Lors de notre dernière rencontre, vous m’avez demandé de clarifier ma conception politique du monde en lien avec les apparitions, beaucoup plus fréquentes ces dernières semaines, de la fille aux cheveux-longs-et-noirs.  Je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver, je vous le dis franchement.  La rupture amoureuse est un sujet délicat et celui de la politique ne l’est pas moins, mais quant à dégager la nature exacte du rapport susceptible de nouer ces deux expériences abyssales, il serait prétentieux de ma part, ou à tout le moins prématuré, de prétendre pouvoir y parvenir ici plus clairement que je ne l’ai fait la dernière fois que nous avons abordé ce sujet.  Mais je veux bien essayer.

Quiconque désire se situer sur le plan des faits-et-rien-que-les-faits doit d’abord s’assurer d’éviter aussi bien le piège de la surinterprétation que celui de la sous-interprétation.  Or, à cet égard, la seule chose qui me semble parfaitement factuelle, c’est la coïncidence entre la rupture avec *** et la révélation qu’en politique tout est simultanément vrai.  Je dis «coïncidence» parce que je ne veux pas forcer ici la relation entre les événements et suggérer, par voie de fausse causalité, que la rupture avec *** aurait provoqué la révélation politique, ou que celle-ci, à l’inverse, aurait pu précipiter la séparation.  Ce serait là tomber dans le piège de la surinterprétation que j’évoquais plus haut.  Mais je ne peux pas non plus, par volonté forcenée de me soustraire à tout reproche de pensée magique, prétendre que le lien entre les deux événements soit une pure coïncidence.  Coïncidence, certes, mais pure?  L’affirmer catégoriquement équivaudrait à tomber dans le panneau de la sous-interprétation – qui n’est elle-même qu’une modalité de la surinterprétation quand on y pense, mais plus retorse dans la mesure où elle ne s’avoue pas son affinité de fond avec cette brutalité positiviste que je récuse tout autant que le dandysme herméneutique.

Tout ce que je dis, tout ce que je sais, cher monsieur, c’est qu’il y a eu coïncidence entre la rupture avec *** et la révélation politique.  Vous vous étonniez, l’autre jour, que j’utilise le terme de «révélation» pour qualifier l’idée qu’en politique, tout est simultanément vrai.  Il est juste qu’à première vue le terme peut paraître un peu fort, d’autant qu’il s’applique ici à une idée que vous avez eu la légèreté de considérer comme «relativement floue».  Mais c’est que vous négligez la prémisse à laquelle il faut constamment reconduire cette révélation sans quoi, de fait, elle perd de son acuité, à savoir que le monde est ontologiquement constitué de trous de cul, que tous autant que nous sommes, nous avons affaire au Cul comme à la chose dont nous sommes le trou immédiat.  Il ne s’agit pas ici, je vous le rappelle, d’un jugement moral, mais d’un état de choses ontologique.

Vous, moi, le livreur de journaux, le premier ministre du Québec, la pute et son client, l’écrivain et son critique, le prof et son étudiant, la mère et son enfant, le terroriste et sa victime, le proprio et son locataire, le bourgeois et son prolétaire, etc. ne sommes que des effectuations à géométrie variable, des trouées ponctuelles, plus ou moins profondes, plus ou moins explosives, de ce monde qui se réduit sans reste à un gigantesque Cul en perpétuelle ébullition.

Si cette révélation a d’abord pris pour moi un caractère politique, c’est tout simplement (du moins, c’est ma conviction) que la politique est le lieu par excellence où se vérifie l’affirmation relative à l’universalité du Cul, de même que l’énoncé qui en découle nécessairement, à savoir que dans un monde où tout est cul, il s’ensuit que tout est vrai, que tout, sans exception, est d’entrée de jeu voué à une vérité totale et simultanée.

Prenons par exemple l’affaire de Dominique Strauss-Kahn, survenue en mai 2011.  Vous vous souviendrez sans doute de cette sordide histoire d’agression sexuelle sur une femme de chambre dans un hôtel new-yorkais.  La question de savoir si le monsieur a pris l’initiative de trousser brutalement la madame, fidèle en cela à sa nature de prédateur sexuel, ou s’il n’a pas plutôt été victime d’un coup monté visant à torpiller définitivement sa carrière, cette question, dis-je, n’a pas lieu de se poser puisque les deux versions de l’affaire sont intimement et simultanément avérées.  Je veux dire : il est vrai que DSK a violemment agressé la femme de chambre, et il est non moins vrai que celle-ci lui a tendu un piège.  Tout est vrai, et l’agression, et le complot.  Mais comment en être certain, me demanderez-vous?  Mais parce que tout est Cul, comme je le soulignais plus haut.  DSK et la femme de chambre sont des trouées anthropologiquement déterminées du monde en tant que cul, ce que nous résumons de façon vulgaire en disant que ce sont deux trous de cul.  En résumé : la femme de chambre était une putain à la solde d’une organisation ayant comme objectif de faire tomber un étron flanqué d’une queue en état de trique permanente.

Prenons maintenant le cas de Gabriel Nadeau-Dubois, ou celui de Jean-François Lisée, ou celui de n’importe quelle figure politique d’ici qu’il vous plaira de considérer à titre d’exemple.  L’être-cul de nos politiciens ne s’effectue pas toujours dans le même sens, cela s’entend, mais il n’en demeure pas moins que chacun et chacune, Barrette tout autant que David, Massé non moins que Trudeau, reconduit son appartenance au Cul de façon chaque fois singulière, tantôt sur le mode de l’être-enculant, tantôt sur le mode de l’être-enculé, ce qui fonde l’affirmation selon laquelle tout est simultanément vrai puisque la vérité, par définition, n’a de sens qu’en regard de l’horizon du Cul, d’où l’idée que le jugement A ne saurait s’opposer radicalement au jugement B, que les deux jugements ne peuvent pas se contrarier en profondeur car ils ne sont que des ramifications incestueuses de l’Un-Cul, des trouées ontologiquement déclinées de la spirale auto-enculatoire qui nous emporte tous, et dont on ne peut pas faire sens pour la raison que c’est plutôt elle qui fait sens de tout, et au premier chef, de notre concept de «vérité».

(Cela dit, fort du respect que j’ai pour vous, et bien que je tienne votre capacité à ne vous étonner de rien en très haute estime: 1) je vous conseille vivement de relire à tête reposée le paragraphe précédent; 2) je vous déconseille, non moins vivement, d’abîmer votre esprit dans la contemplation d’une poignée de porte et de vous demander comment celle-ci pourrait, à son échelle, apparaître comme une effectuation de l’être-cul.  Cela peut sembler contre-intuitif, mais dans le cadre théorique où je me situe, je vous assure que le champ des objets est infiniment plus kinky que celui des êtres vivants.)

Sur ces mots, cher monsieur, je m’arrête, en espérant que ces précisions me vaudront le renouvellement de ma prescription pour le mois prochain.

Cordialement,
***


P.S.  Je me promets, dans un avenir proche, de vous en dire davantage sur mon travail de contrebandier.  Vendre des cigarettes à des mineurs n’est pas, j’en conviens, un travail des plus édifiants, mais il entretient avec ma conception politique des choses des liens étroits.  Je vous parlerai aussi de ce groupuscule de nationalistes honteux que j’ai rencontré récemment, et dont vous allez sans doute entendre parler très bientôt.  Je ne peux vous en dire plus pour le moment, mais soyez sûr d’une chose : ça va chier.

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