mercredi 16 juillet 2014

Vine litt. 8

En fin d'après-midi, alors que je traversais la rue Christophe-Colomb au coin de Legendre, je vis Maurice Blanchot piquer une fouille monumentale à bicyclette au moment où il amorçait la descente du boisé de St-Sulpice. Or, tandis que je me penchais sur lui, question de m'assurer qu'il n'avait rien de cassé et qu'il allait pouvoir poursuivre son chemin, j'eus l'impression que l'homme à qui je m'adressais était et n'était pas Maurice Blanchot.  Ou plus exactement, que cet homme était et n'était pas «pas Maurice Blanchot» et que la situation dégageait ce je ne sais quoi de pas-tout-à-fait-jamais-vu, comme un bégaiement du silence, une eau claire soudain troublée par l'infusion de son origine.

Tout en becquant bobo son genou endolori, Blanchot-mais-pas-vraiment me confia qu'il avait parfois connu ce genre d'expérience.  Au pied d'un escalier, en entrant dans un salon ou en regardant à travers une baie vitrée:
-- Cette ressemblance était prodigieuse, elle n'avait pas le tranchant, l'autorité de l'évidence, elle était plutôt un prodige, elle semblait gratuite, non justifiée, incontestable, mais non pas sûre, d'une réalité plus intérieure et cependant tout en apparence, toute rassemblée dans la splendeur visible, et aller et venir là était un ravissement auquel je pouvais d'autant moins me soustraire que j'avais le bonheur de voir les choses dans la gaieté de leur solitude qui ne tenait pas compte de ma présence, qui jouait avec mon absence et, il est vrai, le mot entente avait aussi l'allégresse d'un jeu sur lequel nous nous entendions.  La solitude était, je le crois, le mieux exprimée par cette gaieté: un léger rire de l'espace, un fond d'extraordinaire enjouement qui supprimait toute réserve, toute alternative et qui résonnait comme le vide de l'écho, le renoncement au mystère, l'ultime insignifiance de la légèreté.




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